vendredi 10 avril 2009

Pour un service public de la presse

La presse est en crise. La concurrence redoutable d'internet ne fera que s' accroître au fur et à mesure qu'une génération d'adolescent rompue à la culture du gratuit prendra la place des ringards prêts à débourser chaque jour un euro pour le journal. Elle se double en Belgique d'un marché de taille trop étroite pour assurer des recettes suffisantes aux journaux.
Dans les rédactions, la morosité règne, quand ce n'est pas la déprime. Une cinquantaine d'emplois sont menacés à Rossel (éditeur du Soir), une trentaine le sont à Vers l'Avenir. A La Libre Belgique, les effectifs ont déjà été dégraissés, et le journal devrait devenir encore plus light, sur le modèle low-cost déjà mis en oeuvre à Libération. Ce n'est pas mieux du côté flamand. Le Persgroep a prévu de virer 26 journalistes au Morgen. Au groupe Corelio, éditeur notamment du Standaard, ce sont pas moins de 60 postes qui sont menacés.
Ces licenciements sont choquants quand l'on sait que les pertes de certains titres n'empêchent pas les groupes qui les éditent de faire des bénéfices. Les éditeurs raisonnent désormais en termes de rentabilité pour chacun des titres, sans égard pour le fait que l'information n'est pas un produit comme un autre. Bien sûr, publier un journal de qualité coûte cher. Mais faut-il rappeler que les journaux de qualité sont indispensables à la démocratie ?
C'est l'objet de ce billet. Pourquoi faudrait-il, en matière médiatique, limiter le service public à la radio-télévision ? Pourquoi ne pas l'étendre à la presse écrite ? Dans un secteur en pleine mutation, il faut avoir de l'ambition, de la vision. Il n'est pas difficile d'imagine qu'un jour, bientôt, un quotidien francophone se retrouvera à nouveau en difficulté financière, peut-être en quête d'un repreneur. Ce repreneur ne pourrait-il pas être l'Etat, ou la RTBF ? Celle-ci est déjà en train d'investir pour se doter d'un site web d'information complet, sur le modèle de la BBC. Pourquoi pas un pôle médiatique public multi-supports, avec presse écrite, radio, télévision, internet ? Il est bien question de nationaliser les banques en détresse au nom de l'inétrêt public, alors pourquoi pas les journaux ?
La proposition n'est pas orthodoxe, certes, mais les temps ne le sont pas non plus. En France, Nicolas Sarkozy est parvenu presque sans peine à imposer la fin de la publicité sur France Télévision. Loin de nous l'idée de défendre sa stratégie de main basse sur la télé, mais elle prouve qu'avec de la volonté politique, on peut réformer en profondeur le paysage médiatique.
Faute d'ambition, c'est la vision d'avenir développée par Rupert Murdoch qui pourrait s'imposer. Pour ce fameux magnat, il n'y aura plus que des titres populaire, type Dernière Heure, vendus à la populace, et des quotidiens haut-de-gamme, style Le Monde, qui deviendront nettement plus chers.
Les pauvres-de-plus-en-plus-pauvres et les riches-de-plus-en-plus-riches auraient ainsi chacun leur canard. Et la société serait de plus en plus insupportablement duale.

Colonel Moutarde

6 commentaires:

Ø a dit…

Les montants alloué par les pouvoirs publics (CF) à la presse francophone n'en fait-ils déjà pas une presse de service public ?

Colonel Moutarde a dit…

Les aides à la presse représentaient 6,7 millions d'euros en 2008, avec par exemple 1,1 million pour Le Soir. Cela n'assure pas vraiment une possibilité d'influencer le contenu dans un sens de service public, ni ne garantit la viabilité des titres.

The Queen is dead a dit…

1) Faudra bien ficeler le dossier, car des aides publiques supplémentaires à la presse pourraient ne pas passer le cap de la commissaire européenne à la concurrence...
2) Si je me souviens bien, c'est Kubla qui a coupé les vivres au dernier quotidien francophone progressiste, feu "Le Matin". Donc la santé financière des journaux et la sécurité de l'emploi des journalistes (qu'ils peuvent légitimement revendiquer) n'en serait pas améliorée. Au premier changement de majorité, tout le monde dehors ! Ce ne serait donc pas mieux que Rossel et cie...
3) La Boulette est-elle déjà subventionnée par la Commission européenne ? (allez, Cher Colonel, c'est pour rire ;-)

Durum a dit…

on est toujours tributaire du dépositaire du projet rédactionnel, fut-il privé ou public. il me semble que plus on diversifie les sources de financement (crédibles) plus solide sera le projet. à cet égard, les initiatives du style société des lecteurs existant au Monde diplomatique me paraissent opportunes.
PS: il me semble avoir aperçu The Queen is dead cagoulé à proximité de l'Ibis de Strasbourg samedi dernier

Non mais ? a dit…

Un brin de corporatisme et d'alarmisme, barda on en devient sarkozyste ?

Si tout le monde se désintéresse de la presse et des médias, c'est qu'ils ne médiatisent plus rien, ils ressassent.

Jamais le diesel n'a pleuré la vapeur

Colonel Moutarde a dit…

@ durum:
la RTBF est entièrement publique et me semble offrir des gages d'indépendance vis-à-vis du gouvernement (voir leur docu-fiction, par exemple). L'Etat ne devrait pas forcément être le propriétaire du journal, mais peut-être un actionnaire significatif. Bien sûr il devrait limiter sa participation à un seul journal.

@non mais ?
Surtout pas sarkozyste! Sa réforme est pratiquement berlsuconienne et personne ne s'en émeut. On préfère s'émouvoir de la loi Hadopi. Avez-vous vu qu'il vient de nommer le nouveau patron de France Télévision ?! Je voulais juste signaler que la réforme était ambitieuse. Quant à la baisse de qualité, je vous trouve un peu sévère, mais elle existe, et elle est (en partie) liée aux moyens de plus en plus réduits des journalistes.
@ Queen
Les règles européennes n'interdisent pas à l'Etat de devenir actionnaire ou de nationaliser une société