vendredi 26 février 2010

Lizin préface le caricaturiste de Père Ubu

Anne-Marie Lizin a amorcé depuis quelques mois un repositionnement stratégique délicat. Exclue du PS parce qu'elle n'a jamais dissipé les doutes relatifs à son utilisation peu orthodoxe de la carte de crédit d'un hôpital dont elle avait la tutelle, Anne-Marie veut sa revanche. Elle s'est muée en une anti-socialiste rabique - qui n'a rien à envier à un Didier Reynders ou un Mischaël Modrikamen.
Dans son fief de Huy, elle a monté une liste alternative et tire à boulets rouges sur la "médiocre" équipe en place.
L'anti-socialisme et les accents populistes ne sont pas les seuls traits qu'elle partage avec M. Modrikamen. Comme lui, elle a bien compris les gains électoraux d'un discours anti-burqa. Si, chez le nouveau héraut de la droite pure et dure, la haine du voile intégral masque à peine cele des Arabes, le discours se teinte, du côté d'Anne-Marie Lizin, d'accents féministes plus acceptables. Mais tous deux ont en commun d'évoquer le sujet avec une fréquence inversément proportionnelle à celle du phénomène dans les rues de Belgique.
Il n'est donc pas surprenant qu'Anne-Marie Lizin ait accepté de préfacer un recueil de caricatures signé par JacPé, dessinateur qui sévit dans les colonnes de Père Ubu, cette feuille satirique d'un goût fort douteux. Burqa et anti-socialisme sont en effet des thèmes de prédilection de ce caricaturiste par ailleurs pas forcément très inspiré.
Le livre sort dans les librairies dans le courant du mois de mars. On croisera Anne-Marie au lancement officiel. Ses admirateurs pourront aussi la rencontrer pour une "potée amicale" le 7 mars à Huy.



Colonel Moutarde

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mardi 23 février 2010

L'Islande, futur paradis journalistique ?

Comme un écosystème, où de micro-organismes parasitent des hôtes plus volumineux, l'ordre international se fonde sur une tension entre grands Etats-nations et petits Etats-parasites qui entretiennent avec eux une interaction ambigüe.
De tous temps, les petits Etats ont compensé leur force de frappe limitée en jouant de la concurrence réglementaire. La France, par exemple, est entourée d'une nuée de micro-pays qui aident les citoyens hexagonaux à contourner telle ou telle législation jugée trop contraignante. C'est ainsi que le monopole sur la radio-diffusion a été érodé par par les radios périphériques, qui émettaient depuis le Luxembourg (RTL) ou Monaco (RMC). C'est ainsi également que l'impôt sur la fortune est évité par de riches Français qui s'installent en Belgique ou organisent une évasion fiscale plus généralisée à Andorre ou Monaco.
Cet équilibre précaire entre petits et grands se répète, à des degrés divers, en d'autres endroits de la planète, qu'il s'établisse entre l'Allemagne et le Liechtenstein, entre les Etats-Unis et les paradis fiscaux caribéens ou entre la Chine et Hong-Kong/Macao.
Avec ses 320.000 habitants, l'Islande pourrait devenir le prochain Lilliputien à fausser la donne internationale - mais d'une façon assez inédite. Une initiative parlementaire vise à transformer l'île en une espèce de "paradis médiatique", où les journalistes et penseurs du monde entier pourraient se prévaloir d'une législation ultra-protectrice. Un peu à la manière dont la Belgique, au 19e siècle, accueillait, de Baudelaire à Marx, des auteurs sulfureux exilés de France ou d'ailleurs.
L'initiative islandaise s'inspire d'ailleurs de la Belgique, puisque sa législation actuelle sur la protection de sources est l'un des exemples mis en avant. Mais l'ambition est ici plus élevée. Il s'agit de faire de l'île le pays le plus avancé du monde dans le droit des journalistes. Protection de sources, protection des intermédiaires (comme les fournisseurs d'accès à internet), limitation de la responsabilité pénale et, surtout, non-respect des jugements étrangers qui ne se conformeraient pas à la législation nationale. L'Islande pourrait donc devenir un hâvre de paix pour les auteurs persécutés à travers le monde.
Il faudra voir comment cette initiative, si elle est votée, se traduira dans les faits. L'affaire des caricatures danoises de Mahomet reviendra certainement à l'espit des parlementaires. Il faudra voir aussi comment empêcher que des lois très libertaires ne servent à protéger les auteurs de contenus racistes ou pédophiles. In fine, le projet islandais pourrait bien connaître le sort funeste de la législation belge de compétence universelle.
Mais au-delà des réserves, l'idée ouvre des perspectives neuves. Elle est plus que justifiée à l'heure où se développe un tourisme juridictionnel ("libel tourism"), qui voit des politiciens, hommes d'affaire et même criminels du monde entier, notamment de Russie, lancer des procédures contre des journalistes locaux, non pas dans leur propre pays, mais au Royaume-Uni, où les lois sur la diffamation sont plus sévères.

Colonel Moutarde


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dimanche 21 février 2010

Quand l’Etat CVP muselle les défenseurs des droits de l’Homme

La ministre flamande de la Culture Joke Schauvliege (CD&V) a décidé il y a quelques semaines de retirer à la Ligue flamande des droits de l’homme ses subsides à partir de l’année 2011 au motif qu’elle ferait trop peu de sensibilisation et qu’elle recourrait à des méthodes trop classiques pour toucher son public.
La Liga voor mensenrechten se voit ainsi touchée au coeur de son financement ce qui l’obligera à limiter ses actions. Première conséquence, elle est contrainte de renoncer à une action devant la Cour constitutionnelle pour contester le transfert, à l’initiative du ministre de la Justice Stefaan De Clerck (CD&V), de prisonniers belges dans la prison néerlandaise de Tilburg.
Paradoxe, la Ligue francophone des droits de l’homme a, elle, déposé un recours contre l’organisation de ce transfert qui devra pourtant, en principe, ne concerner que des prisonniers néerlandophones.
Sur son site internet, la Liga appelle le grand public à participer à son "sauvetage". Une manifestation est organisée à Gand le 10 mars.
La Ligue flamande rappelle quelques unes de ses actions menées ces dernières années dont la plus spectaculaire a permis de condamner le Vlaams Blok pour racisme. La Liga conteste devant le Conseil d’Etat la décision de la ministre Joke Schauvliege.

Durum
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jeudi 11 février 2010

Les dangereuses alliances objectives d'Alain Destexhe

Le sénateur Alain Destexhe a fait de la lutte contre l’islamisme revendicatif l’un de ses chevaux de bataille. Si on ne peut que lui donner raison quant au fond, il est permis de critiquer sa méthode qui consiste parfois à prendre d’audacieux raccourcis, à mettre dans le même sac les tenants de l’islamisme le plus radical et certains conservateurs musulmans au discours nébuleux, à se perdre dans les méandres de l’histoire, à jeter le bébé islamiste avec l’eau du bain islamique, à conclure que Frères musulmans, salafistes, Tariq Ramadan, Hamas, Mahinur Ozdemir, MRAX, Philippe Moureaux, Fatima Zibouh, accommodements raisonnables, le rappeur Edouard la déglingue, tout cela c’est la même chose.


A tenir un discours sans nuance, qui déforce l’argumentaire des défenseurs de la laïcité qui se battent pour une séparation stricte de l’Etat et du religieux, Alain Destexhe prend le risque de voir se retourner contre lui cette méthode sans détours. A user des mêmes raccourcis, on pourrait écrire que le sénateur MR ne voit pas de difficulté à servir de figure de proue aux jeunes nostalgiques du troisième reich regroupés au sein du NSV, organisation nationaliste étudiante flamande de laquelle ont émergé les chefs de file du courant nazillon au sein du Vlaams Blok Belang. En mars 2006, M. Destexhe a accordé une interview à Branding, la feuille de chou du NSV. Il y disait pis que pendre de l'état de la Wallonie. Je vous laisse admirer la couverture de cet opus.

Durum

Evanescence syncrétique

L’avortement presqu’annoncé du débat en France sur l’identité nationale confirme la crise politique majeure de nos sociétés occidentales, incapables de se saisir de la moindre question existentielle contemporaine. Impuissante lorsqu’il s’agit de réguler une finance destructrice, ou plus globalement de répondre aux grandes questions qu’amène la mondialisation, notre société se contente d’une gestion à court terme, mue par des considérations anxiogènes génératrices de comportements consuméristes qui accélèrent sa dualisation. La classe moyenne s’évapore au profit d’une dialectique usurpée par une nouvelle classe politique faussement populaire, de plus en plus populiste. Celle-ci ne peut rien, et ne veut que peu ou prou, face à des multinationales en quête de maximalisation des profits qu‘elle fait (un peu) semblant de menacer du bâton. Elle préfère faire miroiter aux moins nantis qu’à force de travailler plus ils gagneront plus voire consommeront pour alimenter les caisses d’un Etat que financent de moins en moins les bien pourvus. Un Etat qui, du coup, devient déliquescent, ne rassemble plus, n’est plus national. A y perdre son identité. Ces moins nantis finissent par tomber dans l’insécurité, sociale et financière. Ils sont aussi les premières victimes d’une insécurité urbaine organisée par des quidams en asocialité, dont certains, trop acculturés, jamais intégrés à une société évaporée ont, depuis toujours, décroché. Des sans foi ni loi, créatures dévastatrices, elles aussi sans identité, perdues entre le passé d’aïeuls exploités et le no future qui les attend. C’est une société qu’il faut reconstruire. Tolérance zéro pour les politiques qui se refusent à entendre le craquèlement. Comparution immédiate pour les dirigeants atteints de cécité de la cité.

Durum

mercredi 10 février 2010

Qui a jeté un sort à Steven Vanackere ?

Le récent voyage au Congo du ministre belge des Affaires étrangères, Steven Vanackere, a marqué un nouveau tournant dans l’histoire mouvementée de la Belgique et de son ancienne colonie. A l’approche du cinquantenaire de l’indépendance, le très tempéré politicien du CD&V a oeuvré à la normalisation des relations. La photo le montrant tout sourire, une bière à la main, à côté du président Joseph Kabila a fait le tour des journaux. L’image a d’ailleurs fait sursauter son prédécesseur Karel De Gucht, qui considère peu ou prou M. Kabila comme le principal responsable de l’incurie et des viols massifs commis à l’est du pays.


Le voyage restera dans les annales, donc. Mais le principal intéressé aura une autre raison de s’en souvenir. Steven Vanackere a en effet ramené du Congo une maladie tropicale inconnue, qui l’empêche de poursuivre ses activités normalement. Il a bien rendu compte de sa visite devant le députés fin janvier, suant à grosses goutes fiévreuses, mais il a depuis lors bouleversé son agenda. Une visite au Proche orient a été annulée et d’autres devraient suivre. Il serait indisponible jusqu’à la fin du mois de février. Diantre ! C’est véritablement un sort qu’on a jeté au ministre, contraint de renoncer à son programme à peine entré en fonction. Le Premier ministre Yves Leterme, qui avait assuré un bref intérim entre Karel De Gucht et Steven Vanackere rue des petits carmes, a trouvé du piquant à la situation. « Moi au moins, j’ai tenu quatre mois aux Affaires étrangères », aurait-il déclaré à quelques membres du gouvernement.

Colonel Moutarde

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mardi 9 février 2010

Barroso II: plus de com, moins d'information

S'il est souvent présenté comme un valet à solde des grands Etats membres, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso n'en est pas moins un homme de pouvoir, qui a installé au Berlaymont un régime qualifié par certains de présidentiel, voire d'impérial. Tout au long de son premier mandat, le Portugais s'est employé à prendre le contrôle des dossiers importants, se démarquant de son prédécesseur, Romano Prodi, qui laissait à ses commissaires une certaine latitude. Très conscient de l'importance de la communication, il a aussi serré les boulons au service du porte-parole, confié à l'austère Johannes Laitenberger. Sous le règne de ce dernier, la liberté des porte-parole a été sévèrement réprimée, pour ne plus laisser filtrer que la ligne officielle.
La tendance devrait s'accentuer sous Barroso II (entérinée officiellement ce mardi avec le vote de confiance du Parlement européen). Un nouveau poste de chef du service de communication a été créé, et confié au Belge Koen Doens, un ancien cabinettard de Louis Michel et Karel De Gucht. L'idée est de prendre en compte les aspects de communication dès l'élaboration des politiques de l'UE. Koen Koens sera associé aux réunions stratégiques où seront prises les décisions sur les grandes orientations de l'Europe. Il sera aussi chargé de restructurer le service du porte-parole , afin de mieux s'assurer de la cohérence du message. Autrement dit, encore plus de com' et encore moins d'information. Pas certains que les journalistes et les citoyens y trouvent leur compte.

Colonel Moutarde



lundi 1 février 2010

La gauche n'est pas à la hauteur du débat sur l'intégration / immigration

Les élections se jouent souvent autour des questions d'immigration. Est-ce l'une des raisons pour laquelle les partis de droite remportent plus souvent les scrutins en Europe ? Le débat français sur l'identité nationale ou les sorties intempestives d'Alain Destexhe en Belgique francophone montrent bien que les politiciens de droite ont compris le potentiel électoral de ces questions, quitter à entretenir des amalgames dangereux. Mais s'il est courant de dénoncer l'électoralisme de droite, on parle moins souvent de la dangereuse passivité de la gauche, qui, à force de rester à l'écart du débat, ouvre un boulevard aux extrémistes.
Revenons sur la dernière mésaventure du sénateur Destexhe. Se basant sur une information publiée dans la feuille satirico-raciste Père Ubu, il s'est fendu vendredi d'un communiqué de presse dénonçant les subsides versés à une chanson dont l'auteur, un certain Redouane La Déglingue, clame qu'il "épousera le Maroc après avoir baisé la Belgique".



Ce lundi, sur son blog, M. Destexhe déplore que "la plupart des journaux de ce samedi critique ma sortie d'hier sur les rappeurs qui "baisent la Belgique". Les télé nationales n'ont pas parlé du sujet". Pourtant, poursuit-il, "sur le Net, l'article en question est le plus consulté depuis 24 heures sur le site de La Libre, le 2ème le plus consulté depuis une semaine et a fait l'objet de plus de 348 commentaires, loin devant tous les autres thèmes".
Ce n'est pas la première fois que le sénateur s'estime ostracisé par les médias. Il y a quelques semaines, il a rapporté qu'une carte blanche, intitulée "Pitié pour les Suisses", avait été refusée par tous les journaux francophones. Il y exprimait sa compréhension pour le vote exprimé dans la confédération helvétique sur la question des minarets. "Davantage que contre les minarets, les Suisses ont exprimé un refus bien plus général, non pas de la religion musulmane, mais d’un certain islam politique, en tant qu’idéologie totalitaire, de plus en plus à l’offensive, y compris dans notre pays".
Fallait-il censurer cette opinion, que rien ou presque ne distingue plus désormais de la rhétorique anti-Islam proférée par le Vlaams Belang ? La question mérite d'être posée. Comme méritent d'être posées d'autres questions sur l'échec des politiques d'intégration, sur le chômage massif et l'exclusion qui frappent les jeunes maghrébins, sur la violence et l'incivisme dans certains quartiers de Bruxelles, sur la pêche aux voix éhontée des partis dans les communautés immigrées, qui alimente le communautarisme.
Refuser ces questions sous prétexte qu'elles ouvriraient la porte aux dérives racistes est une erreur. C'est pourtant dans un tel refus que se mure la plus grande partie de la gauche, gauche caviar est-on tenté de persifler, désormais en décalage avec la classe populaire.
N'est-il pas le moment, après la multiplication de faits divers violents et alors qu'aucune élection ne viendra polluer le débat dans les prochains mois, d'avoir une discussion sans tabou sur le sujet ? En s'abstenant de mener ce débat, les partis de gauche - au gouvernement à tous les niveaux de pouvoir en Belgique - porteront eux aussi la responsabilité d'une radicalisation de l'électorat.
Est-il normal qu'après les derniers événements à Anderlecht (la "délocalisation" d'une école, victime chronique de rackets), le seul parti à réagir soit le Vlaams Belang ?
Fuir ces questions, comme l'a fait littéralement en France le socialiste Vincent Peillon (voir ici), comme le font les partis de gauche en Belgique, c'est laisser à la droite (de plus en plus souvent extrême) le monopole du discours sur ces questions.
C'est ainsi qu'on voit, en France, un faux débat sur l'identité nationale, organisé par un gouvernement qui par ailleurs fixe des quotas d'expulsions, qui vide la jungle de Calais à grand renfort de caméras, qui caricature à tour de bras avec le projet de loi sur la burqa. C'est ainsi qu'en Belgique se crée un Parti populaire, en fait populiste et prompt aux stéréotypes. Même les considérations légitimes d'un Alain Destexhe sont teintées d'une xénophobie inquiétante.
En reprenant la main sur ces questions, la gauche ferait preuve d'un courage salutaire, dont gageons qu'il qui pourrait même payer électoralement.

Colonel Moutarde