mercredi 8 avril 2009

Paradis fiscaux: quelques rustines et beaucoup de trous

On a failli y croire. On s'était dit que l'ampleur de la crise financière aurait fait entendre raison aux puissants. Qu'ils se décideraient enfin à prendre à bras le corps l'un des plus grands scandales de notre temps: les paradis fiscaux. A l'issue du sommet du G20, le Premier ministre britannique avait même pu déclarer que "l'ère du secret bancaire est révolue".
Mais il faut se rendre à l'évidence: si les spécialistes de l'évasion fiscale ont tremblé pendant quelques semaines, les choses reviendront bientôt à la normale, à l'abri des regards, dans les arrière-salles des banques privées.
Le critère que vient définir de l'OCDE pour permettre aux pays situés sur une liste grise (ne parlons pas de la liste noire, qui ne contient quant à elle plus aucun pays !) de se refaire une virginité est beaucoup trop faible. Il suffit en effet de conclure 12 conventions de coopération avec d'autres pays. C'est ce qui permet, dès à présent et de façon totalement hallucinante, à Jersey et Guernesey de se retrouver sur la liste blanche des pays vertueux.
Les autres paradis fiscaux vont embrayer le pas illico. La Suisse a déjà annoncé que 14 pays étaient prêts à conclure une convention avec elle. (Mais pas question par contre de signer des accords avec la France et l'Allemagne, qui ont mené la lutte contre l'évasion fiscale. “Des conditions préalables satisfaisantes ne sont pas établies”, a baratiné le président de la Confédération). Du côté belge, le ministre des Finances poursuit sa stratégie consistant à faire un peu mieux que les "vrais" paradis fiscaux, histoire de ne pas trop ternir la réputation du pays, tout en ménageant un certain avantage compétitif pour les banquiers privés établis sur le territoire: il a envoyé des projets de conventions à 32 Etats.
Tout cela marque un progrès, sans doute. Mais l'approche de l'OCDE revient à coller douze rustines sur une passoire qui compte beaucoup plus de trous. Il sera toujours possible pour les spécialistes de l'ingéniérie fiscale, qui ont largement démontré leur créativité au fil des années, de trouver une manière de frauder le fisc. Quel que soit le pays d'origine de leur client.
Il n'est donc pas l'heure de baisser la garde. L'indignation, encore vive chez les citoyens, doit être alimentée. La dynamique de la vérité ne doit pas s'épuiser maintenant. Car il ne faut pas s'y tromper: cette indignation est le seul moyen de contraindre les décideurs à agir.

Colonel Moutarde

7 commentaires:

How soon is now ? a dit…

Et du côté de l'Union européenne, il ne serait pas temps d'envisager de restreindre (voire de supprimer) la libre circulation des capitaux, qui favorise l'évasion fiscale ?
Un bon débat pour 'les états d'âme européens du colonel moutarde', non ?

Colonel Moutarde a dit…

Le Colonel Moutarde ne voit rien de mal à ce qu'on puisse ouvrir un compte bancaire, acheter des actions ou un bien immobilier dans un autre pays que le sien, pour autant que ces transferts soient contrôlés et qu'une fiscalité appropriée soit appliquée.
Pour moi, il faut supprimer les frontières entre les pays européens. Le problème aujourd'hui est qu'on le fait sans harmonisation des règles par le haut.

How soon is now ? a dit…

Donc, peut-on appeler ça autrement que de la dérégulation ? (Le comble, c'est qu'une fois de plus l'Europe nous vend ça comme une de nos "libertés fondamentales" !).

Finalement, on est tellement incapables de dire qui doit imposer ces règles (l'OCDE, FMI, Union européenne, le G20 en stoemeling ?) qu'on va finir par se dire que l'autorégulation-dérégulation a bien des vertus... A moins qu'une petite insurrection à la grecque mette tout monde d'accord !

Colonel Moutarde a dit…

Mais oui, laissons les anarchistes mettre tout le monde d'accord. On en profitera pour abolir l'OMC et même l'ONU et puis on rétablira une forme de troc à la place du capitalisme! Ce sera forcément mieux que tous ces G20 machin et ces politicards qui font rien d'autre que s'en mettre plein les fouilles.

How soon is now - Metaxa a dit…

Bien dit !, cher Colonel ;-)

Mais plus sérieusement :

1) peut-on appeler cela autrement que de la dérégulation ?
2) et in fine, qui va (devrait) créer des règles ?

PS: je ne demande qu'à croire que ces grands machins - G20 (sans l'Afrique), OCDE (qui vient de nouveau d'affirmer qu'il y avait trop de fonctionnaires en Belgique), FMI, UE, etc. - servent réellement les intérêts des citoyens-travailleurs.

Colonel Moutarde a dit…

Le problème d'une certaine gauche est qu'elle associe systématiquement "Union européenne" et "dérégulation". Je ne dis pas que la Commission Barroso n'avait pas un agenda de dérégulation, ni que la Commission n'a pas a une ligne généralement libérale, mais l'amalgame permanent entre le projet européen et le projet néolibéral est totalement contre-productif.
Il conduit à rejeter l'Union européenne alors même qu'elle représente le niveau le plus approprié pour établir des règles. Les Etats nations sont trop petits face à la mondialisation et l'ONU est trop faible.
C'est ce qui me fait enrager avec le non de gauche au traité de Lisbonne. Il conduit à priver de meilleurs outils l'organisation la mieux placée pour agir.
Je continue de penser qu'il faut changer le monde depuis l'intérieur des institutions, pas en dehors.
Dans ce contexte, je crois qu'on peut assurer une liberté partielle et contrôlée de circulation des capitaux. Même si je suis d'accord avec vous, cher amateur de tzatziki, que c'est la moins fondamentale des quatre libertés européennes.

Durum a dit…

sans vouloir jouer au social-chrétien de service, il me semble que la vérité se situe entre vous deux. d'une part, on n'a pas attendu que l'union européenne se construise pour faire circuler des capitaux au détriment du financement des états. et en matière de fiscalité, si l'Union européenne et tout le toutim n'existait pas, on resterait dans un modèle libéral que défendent la france de Sarkozy, la grande-bretagne de Gordon Brown, l'allemagne de Merkel, et l'Europe de l'est, à moins qu'on en reste aux frontières de la Bretagne, de la Bourgogne et de la Provence. d'autre part, il faut reconnaître que le bilan de ces trente dernières années de l'UE n'est fait que de libéralisation. dès lors, comme le propose Emmanuel Todd, pourquoi ne pas se battre pour une Europe protectionniste, à définir?