mardi 25 mai 2010

Murdoch et le pari de la presse payante en ligne

A n’en pas douter, Rupert Murdoch est un sale type. Ce magnat australien des médias se fiche éperdument de l’indépendance des rédactions dans les journaux qu’ils rachète : il vire les récalcitrants et impose sa ligne politique, souvent en fonction de ses propres intérêts d’affaire.
Ainsi, quand, dans les années 1960, il acquiert son premier titre,...

Lire la suite sur la nouvelle version de ce blog

jeudi 13 mai 2010

Réflexion sur la financiarisation de l'économie

Pourquoi les traders gagnent-ils des sommes inversement proportionnelles à leur utilité sociale ? C'est sans doute une façon pour eux de se rémunérer en nature. De la même manière que le fromager ramène le soir un bon morceau de roquefort, le trader rentre chez lui avec quelques millions. Que représentent, doit-il penser, ces infimes millions en comparaison des milliards que j'ai échangés aujourd'hui ? Chez les traders, un paiement en nature serait ainsi, curieusement, un paiement cash.
C'est en vertu de la même logique, sans doute, que les salaires sont généralement plus élevés dans le secteur financier que dans les autres branches de l'économie. Puisque l'argent y abonde, n'est-il pas logique de se sucrer un peu au passage ?
Avoir pour métier de brasser de l'argent ne justifie pourtant pas d'en gagner beaucoup. Pour contourner cet argument moral, un camarade employé de banque me donnait récemment une autre justification: puisque je travaille pour une entreprise privée dont l'unique objectif est le profit, je n'ai aucun scrupule à exiger de mes employeurs des augmentations substantielles.
La proximité du pot de confiture et l'appât du gain généralisé: voilà donc deux facteurs importants pour comprendre les montants faramineux versés aux traders et dans le secteur financier. Cette tendance serait anecdotique - après tout, d'autres catégories sociales gagnent aussi des salaires exorbitants - si cela n'était pas symptomatique d'une certaine déliquescence de l'économie, voire de la société occidentale.
Elle est d'abord symptomatique d'une surabondance de monnaie, d'une ère d'argent facile, issue des taux d'intérêts très faibles pratiqués aussi bien par la BCE que par la Fed depuis des années, mais aussi des politiques budgétaires laxistes que s'autorise la classe politique euro-américaine.
Elle est surtout le signe d'une emprise inquiétante de la sphère financière sur le reste de l'économie. La cupidité des spéculateurs n'est pas un phénomène nouveau, mais elle s'est accrue au cours des dernières années, au fur et à mesure que l'économie était gorgée de liquidités, et au fur et à mesure que se répandait le mythe de l'argent facile - jusque chez les petits épargnants. Les occidentaux ont cru qu'ils pouvaient devenir des rentiers, laisser leur argent travailler à leur place. Ils ont cru stupidement la bourse monte toujours. Ils ont pensé naïvement que l'on peut exiger des rendements en deux chiffres, sans se préoccuper des conséquences. Cruelle déception pour les détenteurs d'actions financières en 2008, pour ceux qui avaient voulu grapiller quelques pourcents avec un compte Kaupthing!
Que dire des fonds de pension, présentés depuis des années comme l'une des solutions privilégiées au vieillissement de la population ? Non seulement font-ils peser sur les travailleurs la nécessité de rendements toujours plus importants, mais leur efficacité elle-même peut être mise en doute, à l'heure où les bourses sont devenues tellement volatiles.
Mais plus que les petits épargnants et les pensionnés, ce sont les fameux "marchés financiers" qui pèsent lourdement sur l'économie. Ces "spéculateurs" dont on ne connait ni le visage, ni le nom, uniquement tournés vers le gain à court-terme, quels que soient les dégâts pour la société. "Après moi, le déluge" semble être leur leitmotiv. Alors que l'utilité de la Bourse elle-même est sujette à caution (lire cet article du Monde diplomatique), comment accepter qu'aujourd'hui, près de la moitié des transactions soient le fait d'ordinateurs programmés pour réaliser des milliers de petits gains (voir ici) ? Comment ne pas dénoncer le poids de ces transactions sur la dette publique ? Comment ne pas s'indigner des collusions douteuses entre institutions financières, comme dans l'affaire Goldman Sachs ? Comment ne pas mettre en doute l'objectivité des agences de notation ? Bref, comment ne pas remettre en cause la grave dérive globale du système capitaliste ?
Les politiques ont commencé à répondre à ces questions, mais ils restent encore bien trop timorés face à des forces qui menacent les fondements de l'économie sociale de marché.

Colonel Moutarde

Retrouvez ce billet sur le site www.boulettemoutarde.be

mardi 4 mai 2010

Zone euro: Le pari des cupides

Après la Grèce, l'Espagne. Les spéculateurs de la City et de Wall Street en sont convaincus: l'un de ces pays qu'ils qualifient de cochons (les PIGS, Portugal, Ireland, Greece, Spain) finira bien par craquer. La Grèce est à l'abri - provisoirement. Avec 110 milliards d'euros de prêts publics promis sur les trois prochaines années, elle pourra honorer ses échéances à court-terme. Une première défaite pour tous ceux qui, ces dernières semaines, avaient misé sur un défaut en achetant des credit default swaps, ces espèces d'assurances sur dette. Mais ils n'en resteront pas là, comme l'explique crûment le prix Nobel d'économie, Joseph Stigliz (voir ici)

Quand on aura vu à quel point il a été difficile à l'Europe d'adopter une position commune pour aider un des plus petits pays, on réalisera que si un pays un peu plus grand a des difficultés, il est probable que l'Europe aura encore plus de mal à se mettre d'accord. Donc je pense que l'espoir que cette aide nuira aux pressions spéculatives est probablement infondé: ça peut marcher pendant quelque temps, mais à long terme, tant que les problèmes institutionnels fondamentaux seront là, les spéculateurs sauront qu'ils existent, et au fur et à mesure que les faiblesses de l'Europe s'aggraveront je pense qu'ils s'en donneront à coeur joie.

Comme nombre d'autres observateurs américains, Joseph Stiglitz ne croit pas trop en l'euro. Le raisonnement est simple: les pays membres ont décidé de confier à une banque centrale indépendante le soin de gérer une politique monétaire unique, mais ils continuent de gérer eux-mêmes leur politique budgétaire et économique. Du coup, certains pays s'endettent, tandis que les autres accumulent des excédents. Les uns importent, les autres exportent. C'est un peu la cigale et la fourmi dans l'euroland. Pendant que la Grèce mentait sur ses statistiques budgétaires, l'Allemagne proscrivait les déficits jusque dans sa Constitution. Pendant que des Grecs prodigues vivaient au crochet de l'Etat, des Allemands disciplinés acceptaient la modération salariale. La Commission européenne était censée veiller à la cohésion de l'ensemble, mais, avec ses prérogatives limitées, elle n'a pas empêché la crise - qu'elle n'a d'ailleurs pas vu venir. En résultent aujourd'hui des tensions ingérables. Dans l'impossibilité de dévaluer sa monnaie, la Grèce est forcée d'appeler à l'aide. Si davantage de pays se retrouvent dans la même situation, ce sera la fin de l'euro.
C'est le scénario sur lequel misent nombre d'investisseurs, sur les traces de George Soros, ce spéculateur américain qui, au début des années 1990, a fait fortune en forçant la Banque d'Angleterre à dévaluer la livre sterling. Ici aussi, le raisonnement est simple: il a fallu des pressions intenses sur l'Allemagne et l'apport de pays eux-mêmes en grande détresse budgétaire pour bricoler l'aide à la Grèce. Ce frêle esquif ne supportera sans doute pas la prochaine attaque contre un PIG. Peu importe si l'Espagne est assez faiblement endettée (53% du PIB, moins de 20 points sous la moyenne de la zone euro), les investisseurs connaissent sans doute l'une ou l'autre faiblesse. En misant sur un défaut, ils poussent à la hausse les taux d'intérêts auxquels elle doit emprunter, enclenchant ainsi le même cercle vicieux que celui dont la Grèce a été la victime. Eux gagnent sur tous les front (voir une explication ici).
C'est un pari. Un très, très gros pari. C'est surtout un bras-de-fer entre les pouvoirs publics et les intérêts privés. Intérêts privés qui imposent aux Etats leur rythme frénétique, sans égard pour le temps des procédures démocratiques. Intérêts privés qui exigent des Etats des taux exorbitants. De l'avis de nombre d'experts, si la spéculation ne se calme pas, des dizaines de milliards seront encore nécessaires. Dans les capitales, il faudra alors garder la tête froide et le sens de l'Etat. Tout l'opposé de l'image qu'a donné Angela Merkel ces dernières semaines (voir
ici). Car au pari des cupides, il faudra bien opposer le pari de la solidarité. Et faire avaler aux Allemands, qui ont accepté sans broncher des réformes douloureuses (comme la fameuse loi Hartz IV), qu'ils doivent encore se montrer solidaires avec ceux qui ont vécu au-dessus de leurs moyens.

C'est sans doute à ce prix qu'on évitera la faillite d'un Etat, équivalent public de celle de Lehman Brothers, possible prémisse à un éclatement de la zone euro. Les dirigeants européens ne peuvent pas laisser gagner les spéculateurs, les véritables cochons dans cette affaire. Abandonner l'euro, meilleur symbole de la construction européenne, serait un renoncement intolérable.

Colonel Moutarde


Retrouvez ce billet sur la nouvelle version de ce site, www.boulettemoutarde.be