L'Union européenne n'est pas un super-Etat, quoiqu'en disent certains de ses détracteurs. Et la Commission n'est pas un gouvernement. Si, dans une démocratie parlementaire nationale, la majorité des voix suffit pour constituer une équipe dirigeante, les choses sont nettement plus complexes au niveau européen. Le président de la Commission est désigné par consensus entre les chefs d'Etat et de gouvernement, à l'issue de consultations totalement opaques. Il est ensuite entériné par un vote au Parlement européen, une mosaïque indéchiffrable de partis où l'on peine à déceler une majorité et une opposition. De cette situation confuse naît l'accusation classique du déficit démocratique des institutions européennes.
Le traité de Lisbonne, bien qu'il soit décrié par ceux qui reprochent à l'Europe son manque de démocratie, améliore un peu cette situation: il prévoit que le président de la Commission est élu par le Parlement européen. La nuance est réelle, puisqu'elle implique des consultations avec les principaux groupes parlementaires, ce qui renforcera la lisibilité politique du processus. Surtout, Lisbonne prévoit un vote à la majorité absolue, contre une majorté simple dans la procédure actuelle du traité de Nice.
Ce changement inquiète José Manuel Barroso, à la manoeuvre pour s'assurer un second mandat. L'homme répète depuis des mois qu'"on doit tout faire sous le traité de Nice": pas question pour lui d'anticiper les procédures plus démocratiques du traité de Lisbonne, comme le réclament certains députés. Et pour cause, il lui serait infiniment plus compliqué de recueillir une majorité absolue dans un Parlement où les verts et la gauche sont très remontés contre lui et où on annonce un groupe eurosceptique puissant, enclin à lui barrer la route. Obtenir un vote favorable dans une telle configuration l'obligerait à monnayer les portefeuilles et les politiques.
Or, le Parlement n'est pas le seul souci de M. Barroso, qui doit aussi composer avec les capitales. Si la plupart des gouvernements, y compris socialistes, lui ont déjà apporté leur soutien, tous espèrent bien un renvoi d'ascenseur. Comprendre: un bon poste d'influence pour le commissaire “national”. Ainsi les Britanniques comptent-ils bien placer un homme aux services financiers, histoire de protéger les intérêts de la City de Londres. Les Allemands chercheront peut-être à défendre leur industrie automobile, comme c'est déjà la cas avec le commissaire Gunter Verheugen. Les Français lorgneraient sur le portefeuille de la concurrence, qui reviendrait à Christine Lagarde.
S'il accède à ces demandes, José Barroso enverra à toute l'Europe le signal clair qu'il compte repartir sur les mêmes bases et transformer progressivement la Commission en secrétariat des grands Etats. Un scénario qui devrait être inacceptable pour les petits pays, que la Commission est censée protéger en plaçant l'intérêt commun au-dessus de la mêlée. Mais dans le climat actuel d'affaiblissement de l'intérêt communautaire, il n'est pas certain que les petits élèveront la voix. Chacun cherchera plutôt à obtenir un bon poste pour “son” commissaire. La Belgique de Van Rompuy sera sans doute plus encline à jouer ce jeu que celle de Verhofstadt. Karel De Gucht, pressenti commissaire, se verrait bien en charge du commerce. La bataille sera rude.
Colonel Moutarde
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