lundi 4 mai 2009

Quelques questions sur l’Holocauste et le conflit israélo-palestinien

Médias et responsables politiques occidentaux se sont indignés à l'unisson des propos du président iranien Mahmoud Ahmadinedjad à la tribune de la conférence Durban II sur le racisme. L'homme, il faut le dire, n'y est pas allé avec le dos de la cuiller, conformément à sa mauvaise habitude de provocation, que l'approche des élections présidentielles en Iran n'a pas manqué de renforcer. "Après la fin de la seconde guerre mondiale, ils [les Alliés] ont eu recours à l'agression militaire pour priver de terres une nation entière sous le prétexte de la souffrance juive. Ils ont envoyé des migrants d'Europe, des Etats-Unis et du monde de l'Holocauste pour établir un gouvernement raciste en Palestine occupée (...) Des efforts doivent être faits pour mettre un terme aux abus des sionistes et de (leurs) partisans", a-t-il déclaré.
On peut certes s'indigner du manque de respect de M. Ahmadinedjad pour les victimes de l'Holocauste, on doit critiquer son populisme dangereux, ses inexactitudes. Mais feindre d'ignorer que certains de ses arguments sont légitimes, ne pas voir que son discours a été copieusement applaudi par les délégations arabes, contribue à alimenter une différence de perception qui risque de virer au clash des civilisations.
C'est l'objet de ce billet, où je voudrais plaider pour un ré-examen de certaines vaches sacrées occidentales. Plutôt de condamner en bloc les propos de M. Ahmadinedjad, les Européens seraient bien inspirés de conduire une réflexion nuancée sur leurs propres zones d'ombres.
Est-il illégitime de dire que le partage de la Palestine en 1947, qui a débouché sur la création d'Israël, a été imposé aux Arabes par les Occidentaux ? Est-il faux de dire que ce partage favorable aux juifs a été en partie justifié par leurs souffrances pendant la seconde guerre mondiale, même si on n’avait pas encore pris toute la mesure de l’ampleur de l’Holocauste ?
Le génocide, d'une barbarie méticuleuse, de six millions de juifs est gravé pour toujours dans l'inconscient collectif des Européens. Si la flamme de la mémoire doit absolument être entretenue, à l’heure où certains spectres du passé semblent refaire surface, elle ne peut pas devenir aveuglante, au point d'oblitérer les souffrances des autres peuples. Et le traumatisme qui hante la communauté juive ne doit pas donner lieu à un chantage émotionnel et politique.
Par exemple, même si on comprend les raisons qui ont amené à pénaliser la négation ou la révision de l'Holocauste, on peut se demander pourquoi les lois sont muettes sur le génocide rwandais, qui fut tout aussi machiavélique dans sa préparation et barbare dans son exécution. Pourquoi n’y a-t-il pas de délit de négationnisme de l’esclavage ou des crimes coloniaux. On peut aussi se demander pourquoi il est illégal de relativiser les atrocités commises contre un peuple, certes incommensurables, alors qu'il est accepté de minimiser les injustices qui frappent un autre.
Est-on antisémite quand l’on constate que le peuple juif, qui est hanté par l’Holocauste, vit par contre dans le déni de la question palestinienne, au sujet de laquelle il est d’ailleurs sous-informé ? Est-on antisémite quand on affirme qu'il existe aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, un lobby qui réussit efficacement à rendre acceptables les politiques inhumaines des gouvernements israéliens successifs ? On a dénoncé sur ce blog les références inappropriées à l’apartheid. Mais est-on antisémite quand on affirme que c’est effectivement une politique d’apartheid qui est mise en place en Palestine occupée ? Sous le couvert d’une guerre contre le terrorisme, on enferme tous les Gazaouis dans une prison à ciel ouvert, en Cisjordanie on construit un mur de la honte qui coupe les communautés, on installe d’innombrables contrôles auxquels doivent se soumettre patiemment les seuls Palestiniens, on construit des autoroutes réservées aux colons... N’est-ce pas là une ségrégation semblable au régime de l’apartheid ?
Le nouveau gouvernement envisage maintenant de renoncer à la perspective de créer un Etat palestinien, et de faire d’Israël définitivement un Etat juif, privant ainsi de droit au retour les Palestiniens qui ont fui les hostilités en 1947. Manque-t-on de sens des proportions si l’on met sur le même pied le refus de créer un Etat palestinien envisagé par Netanyahu et la volonté de détruire l’Etat juif clamée par Ahmadinedjad ?
Il serait temps que l’Occident se pose ces questions. Ne pas le faire – à l’instar de ces Etats européens qui voudraient développer les relations UE-Israël comme si de rien n’était – revient à attiser les braises d’un conflit dangereux entre l’Occident et le monde musulman.

Colonel Moutarde

12 commentaires:

alex a dit…

Bonjour,
Je trouve votre blog très enrichissant, cela change de tout ce que l’on peut lire habituellement. Bonne continuation et merci.

Anonyme a dit…

Très bon billet.
Je me suis fait les mêmes réflexions après l'intervention du Président Iranien : pour abject que soit le personnage, tous ses arguments ne sont pas faux et sont partagés dans le monde musulman.
Il est aujourd'hui difficile de critiquer les méfaits du sionisme extrême sans être étiqueté antisémite.
Or, on peut respecter profondément le peuple juif, et ne pas supporter ce qui se passe à Gaza et cie.
Je viens de terminer la relecture de l'excellente BD MAUS d'Art Spielgeman, et mon coeur se serre toujours autant à voir les souffrances immenses infligées au juifs pendant la Shoah, mais mon coeur se serre aussi en voyant les infos sur la Palestine.

Mexicano a dit…

1) Ce qui est profondément choquant, entre autres choses, c'est que les autres pays musulmans se soucient comme de collin-tampon de la Palestine. L'Iran se sert du combat palestinien pour s'imposer comme un interlocuteur incontournable dans la région. Il n'a d'ailleurs jamais manqué de souffler sur les braises quand elles paraissaient s'éteindre. En son temps, la Jordanie a expulsé les Palestiniens de manière particulièrement sanglante. Actuellement, de nombreux Palestiniens qui ont fui l'Irak croupissent dans un no man's land à la frontière syrienne parce que les Syriens n'en veulent pas.

2) Il faut prendre garde à la réthorique d'Ahmadinejad. Il évoque les droits des "peuples", jamais des individus. Notre conception des droits de l'homme est héritée des Lumières et se fonde sur les droits dont jouissent les individus en tant qu'individus et non membres d'un groupe. Les sytèmes totalitaires évoquent quant à eux le peuple, la nation, etc. Pas les personnes.

3) L'Holocauste a ceci de particulier par rapport aux autres génocides, c'est qu'il n'obéit à aucun intérêt politique, contrairement à ce qu'ont infligé les Turcs aux Arméniens, les Hutus aux Tustis, etc.. Les Juifs vivaient depuis des siècles en Allemagne, y étaient intégrés, participaient à la vie du pays à tous les niveaux. Ils étaient pleinement Allemands. Leur extermination ne servait en rien les rêves d'expansion des nazis, que du contraire. Elle plonge ses racines dans l'inconscient européen plutôt que dans les desseins politiques d'un groupe dirigeant.

4) La façon dont certains s'approprient l'Holocauste est en effet gênante. Ils se sont érigés en gardiens de la mémoire et s'autorisent à juger sans appel ce qui peut être dit et ne peut être dit sur la question. Les récentes polémiques sur "Der Untrergang" ou "Les Bienveillantes" le prouvent à suffisance.

5) Les puissances européennes se sont en effet dédouanées rapidement de leurs responsabilités en autorisant la création d'un Etat juif en Palestine mais il s'agit avant tout de l'aboutissement du mouvement sioniste qui souhaitait créer un Etat à cet endroit. Les historiens sont d'ailleurs divisés sur le point de savoir si on pouvait réellement parler de nation palestinienne quand Israël s'est créé. Ceci dit, sans nullement justifier le sort qu'Israël réserve aux Palestiniens.

Colonel Moutarde a dit…

Merci pour ces encouragements. Je m'attendais à des déferlements de commentaires racistes, mais je vois qu'il y a aussi des modérés sur les blogs... C'est bien.

@ Mexicano
D'accord avec la plupart des points. Mais quand on dit que l'Iran souffle sur les braises, c'est aussi, d'une certaine manière, un point de vue occidental. De notre côté du globe, on considère que soutenir des groupements non-étatiques comme le Hezbollah ou le Hamas revient à soutenir le terrorisme. Par contre, le soutien militaire des Etats-Unis a Israël serait légitime, ou du moins plus légitime, parce qu'Israël est un Etat. La qualification de terrorisme est politique: qualifie-t-on les actes de sabotages des résistants français pendant la guerre comme des actes de terrorisme ?
Quant à la distinction que tu tentes de faire entre les génocides, je ne la trouve pas convaincante. Je ne crois pas que l'Holocauste soit tellement différente du génocide des Tutsis. Les livres de Jean Hatzfeld (à conseiller absolument) sont éclairants à ce sujet.

Colonel Moutarde a dit…

@ alex
L'insipidité de votre commentaire sous un billet prêtant à polémique m'a paru d'autant plus suspecte quand, en cliquant sur votre nom, j'ai atterri sur un site commercial de "vacances exotiques".
En googlisant vos mots exacts ("Je trouve votre blog très enrichissant, cela change de tout ce que l’on peut lire habituellement. Bonne continuation et merci"), j'ai découvert que le même commentaire se retrouvait dans une série de blogs, toujours accompagné de liens vers des sites commerciaux.
Soyez gentil de ne plus polluer nos discussions.

Mexicano a dit…

Je ne prétends pas qu'un mort juif vaudrait plus qu'un mort tutsi, arménien, etc. C'est la valeur symbolique de l'Holocauste qui m'interpelle. Non seulement l'absence d'intérêt politique mais aussi, et peut-être plus fondamentalement, la personnalité des bourreaux et des victimes. Pour faire court et un peu schématique: il y a d'un côté l'aboutissement de l'exaltation romantique de la Nation et d'un certain vitalisme, cette façon d'exalter l'âme, la passion, le sentiment de puissance, cette force qui vient de la terre, loin de tout discours rationnel, de l'autre le Peuple de la Loi, qui a donné au monde les 10 commandements (Tu ne tueras point: c'est unique dans l'histoire. Jamais une communauté ne s'est imposé une telle règle) et qui a, pour reprendre l'expression d'Isaac Bashevis Singer, dompté la Bête.

Je ne voudrais pas que ce qui suit soit mal interprété mais, cette façon de faire droit au discours d'Ahmadinejad est dangereuse, je le répète. Dans les années '30, il n'a pas manqué de personnes qui estimaient que le chancelier Hitler ne disait pas que des bêtises. Lui aussi s'exprimait au nom d'un peuple allemand humilié par le Traité de Versailles. Les Arabes n'ont pas besoin d'Ahmadinejad pour exprimer leur sentiment d'humiliation.

Durum a dit…

Je n'ai pas le sentiment que notre honorable confrère le Colonel Moutarde ait fait droit au discours d'Ahmadinejad. Il me semble plutôt qu'il souligne la dangerosité qu'il y a à laisser aux dirigeants musulmans (j'écris musulman car l'Iran n'est pas un pays arabe) le monopole de la critique contre Israël tant on sait qu'elle s'agrémente la plupart du temps, dans leur chef, de considérants antisémites.
Par ailleurs, je suis d'avis que la réflexion sur la comparaison des génocides, si elle peut avoir un intérêt sur le plan historique, n'a pas lieu d'être dans le débat sur le négationnisme. Si en Belgique, comme dans d'autres pays, une loi pénalise le révisionnisme du génocide commis par le régime national-socialiste allemand durant la seconde guerre mondiale, et pas la négation d'autres génocides, c'est probablement parce que l'Europe ne pourra jamais se dédouaner de sa responsabilité dans ce qui fut, sur son territoire, le crime le plus abominable du XXème siècle. Emotionnellement, elle a réagi avec une réponse forte pour condamner ceux qui par haine tentent de remettre en cause l'incontestable, de la même manière qu'elle a fermé les yeux sur la spoliation par les Israéliens de terres appartenant depuis des siècles à des familles de palestiniens expropriées sans contrepartie.
La réflexion sur les motivations politiques qui sous-tendent les massacres planifiés de groupes ethniques est intéressante car certains s'immiscent dans le débat sur l'opportunité de pénaliser le négationnisme des génocides (reconnus ou pas par l'ONU) avec des arguments politiques, plus qu'avec une véritable volonté de perpétuer un devoir de mémoire. Et c'est à ce propos que je voudrais insister sur le fait que comparaison n'est pas raison. Mexicano, tu écris toi-même qu'Hitler justifiait l'Holocauste, en rendant le peuple juif coupable de la situation dans laquelle se trouvait l'Allemagne après la signature du Traité de Versailles. N'est-ce pas politique? Quelque part, tout est politique. De la même manière que quand les Turcs considèrent les Arméniens voire les chrétiens de Turquie, responsables du démembrement de l'Empire ottoman, de par leur prétendue collusion avec les Russes, ils posent un acte politique. Je ne pense pas que l'instrument juridique qui consiste à sanctionner le négationnisme doive servir à alimenter un nouveau débat politico-diplomatique sur la reconnaissance des génocides. En revanche, il y a lieu, par l'éducation notamment, de se pencher sur certains crimes abominables commis au cours de l'histoire de sorte que leur peprétration ne puisse plus être remise en cause. Outre les génocides "classiquement" évoqués, je pense aussi à l'intérêt de se pencher sur la colonisation, l'esclavagisme, le crime contre les classes ouvrière et paysanne durant la guerre 14-18, etc.

Mexicano a dit…

Ce que je veux dire par intérêt politique, c'est que l'extermination des Juifs allemands, et par la suite européens, ne servait à rien. Quand les Jeunes-Turcs ont massacré les Arméniens, et d'autres minorités, ils voulaient instaurer un Etat turc homogène et mettre fin à la partition de ce qui restait encore de l'empire ottoman. En moins d'un siècle, plusieurs peuples avaient déjà fait sécession et d'autres menaçaient de le faire. Je ne prétends pas que ce qui s'est passé en 1915 en Turquie était moins grave ou plus grave que ce qui a pu se passer ailleurs. En Allemagne, les Juifs fournissaient certes un bouc émissaire commode à la crise que traversait le pays. Mais, à ma connaissance, ils ne formaient pas une communauté politique structurée susceptible de nuire un tant soit peu au pouvoir en place. Comment ne pas voir dans ce génocide l'aboutissement de siècles d'antisémitisme? Comment expliquer cet acharnement européen à éradiquer des individus qui, pour beaucoup, ne se reconnaissaient qu'à peine, voire pas du tout, dans une communauté? Les exemples abondent, à travers toute l'Europe, de ces Juifs pleinement intégrés dans leur pays, arrivés parfois dans les plus hautes sphères du pouvoir, des sciences, de la culture, qui ne revendiquaient même pas leur judaïté mais qui devaient porter celles-ci comme un signe infâmant, et qui manquaient de déchoir aussitôt qu'elle était exposée publiquement. Qu'est-ce qui a pu entraîner ce mouvement d'extermination, à travers toute l'Europe, et non dans un seul pays, d'une communauté très artificielle, sans territoire, dispersée dans le monde entier, désireuse avant tout de vivre en paix là où elle se trouvait, qu'il s'agisse de la Pologne, de la France, de l'Allemagne ou de la Grèce?
Théodore Herzl, père du sionisme, suscitait l'hostilité chez les siens. Selon lui, si les Juifs voulaient vivre en paix et échapper aux vexations dont ils faisaient régulièrement l'objet, ils devaient avoir leur propre Etat... L'histoire ne lui a pas donné tort.

Durum a dit…

Je pense que dans les génocides, les peuples à exterminer constituent toujours un bouc émissaire. Nombre d'historiens sont d'accord pour dire que les Arméniens n'ont pas joué un rôle en tant que groupe ethnique dans la dislocation de l'empire ottoman. A l'image des autres empires, celui-ci était en train de disparaître de sa belle mort. Et s'il est vrai que certains arméniens ont fait alliance avec les Russes contre la Turquie, alliée de l'Allemagne, la communauté arménienne n'était pas unie. Et elle faisait déjà l'objet de purges au XIXème siècle. L'Empire ottoman, pourtant exemplaire jusqu'à alors en termes de cohésion sociale (de nombreux Juifs s'y réfugièrent pour fuire l'antisémitisme européen) sentait qu'il touchait à sa fin et a commencé à se trouver des ennemis faciles à identifier.
Cet argument ne fait à mon sens qu'appuyer le fait qu'il y a selon moi peu de sens à comparer entre eux les génocides.
Par ailleurs, Mexicano, j'imagine que la chute de ton commentaire est ironique (ou alors serais-tu pris par la grippe?;-))) Je ne pense pas que la constitution de l'Etat d'Israël (que je ne remets pas en cause mais qu'il faudrait rééquilibrer) ait mis fin à l'antisémitisme dans le monde. Malheureusement.

Colonel Moutarde a dit…

Je n'adhère pas à cette distinction, même symbolique, entre les génocides. Ce qui rend l'Holocauste particulier pour nous Européens, c'est sa proximité. "C'est arrivé près de chez vous" et c'est ça qui est terrifiant. Sa particularité est aussi d'être désormais très bien documentée, ce qui n'était pas le cas dans l'immédiat après-guerre. Dans le cas du génocide rwandais, on commence seulement à prendre la mesure de ce qui s'est passé.
Mais un génocide est un génocide. C'était l'objet même de mon billet de dire que la mémoire de la Soah ne doit ni occulter d'autres mémoires, ni servir des fins politiques.

Mexicano a dit…

Nonobstant le caractère dramatique des événements que nous évoquons, cette succession de commentaires entre les mêmes personnes me fait penser qu'on serait mieux à en discuter autour d'un verre.

Pour ce qui est de la spécificité de l'Holocauste, je n'ai pas vu dans vos billets d'argument qui la remettait en cause mais soit...

Quant au sionisme, on pourra difficilement contester que la création de l'Etat d'Israël est le premier acte politique qui après un millénaire ait permis aux Juifs de se protéger. Ou alors, c'est qu'ils ont vraiment joué de malchance.

Durum a dit…

puissent les bulles nous inviter à évoquer la visite papale et la candidature judéo-arabe d'Israël au concours Eurovision. santé!