Quelle belle histoire que celle de Veolia ! On parle beaucoup ces jours-ci de la maison-mère d'Aquiris, cette société qui a provoqué une pollution majeure en coupant l'épuration de le Senne, au Nord de Bruxelles. Petit retour en arrière.
Le groupe Veolia est le lointain héritier de la Compagnie générale des Eaux, créée au milieu du 19e siècle pour approvisionner la ville de Lyon. Au fil des décennies, la CGE se diversifie dans l'énergie, les transports, la propreté, l'immobilier et la construction. Dans les années 1990, sous l'égide de Jean-Marie Messier, le groupe étend ses tentacules à l'industrie médiatique et devient Vivendi. C'est l'aube des années 2000: on ne parle plus que de J2M, star française du capitalisme mondial, aussi surnommé J7M: Jean-Marie Messier, Moi-Même, Maître du Monde et de la Musique. Mais si le Y2K, le bug de l'an 2000, se révèle finalement peu dangereux pour les ordinateurs du monde, J2M, lui, fait bien bugger Vivendi. En 2002, le groupe est au bord de la banqueroute, et Messier contraint de démissionner. Vivendi est scindé en deux: le pôle médias est baptisé Videndi Universal, tandis que les métiers environnementaux sont regroupés sous le nom de Veolia – un nom léger, bien de son époque, mis au point par un cabinet de consultants qui avaient notamment pour mission de conserver les lettres VE, utilisées pour la cotation en bourse de Vivendi Environnement (voir ici). Nous sommes en 2003, Veolia était née.
Videndi se dégage peu à peu du capital, au profit notamment d'un fonds d'investissement britannique, qui devient le principal actionnaire. La société est désormais dirigée par Henri Proglio, un proche de Nicolas Sarkozy. A son conseil d'administration, on retrouve des grands noms du capitalisme français, notamment un certain Baudouin Prot.
En 2008, le groupe investit lourdement en Belgique. Pour développer ses activités ? Non, parce que la Belgique vient de se doter du régimes des intérêts notionnels, qui permettent aux sociétés de déduire de leur base imposable un pourcentage important de leurs fonds propres. Du coup, Veolia transfère, en plusieurs virements, près de trois milliards d'euros sur les comptes de son bureau de lobbying européen, transformé pour l’occasion en une société dénommée Veolia Environnement Europe Services (voir cet article du Monde diplomatique).
Bien déterminée à profiter du cadeau fiscal mis au point par le ministre des Finances, Didier Reynders, Veolia semble moins sourcilleuse en matière de responsabilité sociale. Sur son site web, le groupe met pourtant en avant ses “grands principes de développement durable”. Veolia dispose même d'un comité d'éthique et d'un comité des risques.
Pas suffisant semble-t-il pour empêcher une catastrophe environnementale à Bruxelles. Selon la ministre régionale de l'environnement, Evelyne Huytebroeck, Veolia aurait même délibérément bloqué la station d'épuration pendant plusieurs jours pour tenter de faire payer par les pouvoirs publics des investissements qu’elle n’a pas consentis elle-même, alors qu’elle le devait.
Du coup, le directeur de Veolia Water, Jean-Michel Herrewyn, est “convoqué” par le gouvernement bruxellois. Les parties conviennent de faire réaliser une expertise contradictoire sur l'accident. Le bras-de-fer se poursuit, donc, entre l'Etat et une compagnie privée. Le plus puissant n'est pas nécessairement celui qu'on croit: le chiffre d'affaires de Veolia est dix fois supérieur au budget de la Région bruxelloise.
A l'heure où certains nationalistes flamands de courte vue voudraient faire de ce dossier une nouvelle pomme de discorde communautaire, il serait peut-être bon de rappeler que c'est plutôt la relation public / privé et une certaine idée du service public qui sont au coeur de cette affaire.
Colonel Moutarde
PS: Hasard des circonstances: la presse rapporte aujourd'hui que Veolia s'apprête à lancer une liaison ferroviaire low cost entre Paris et Bruxelles pour concurrencer le Thalys...
jeudi 24 décembre 2009
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