mardi 23 juin 2009

L'euroscepticime, c'est la droite

Bien que le sujet soit un peu passé de mode, il est toujours de bon ton, quand on s'affiche à gauche, d'être contre le traité de Lisbonne. Le texte ne change pas le cours d'une Europe qui n'est pas sociale et qui a organisé plusieurs vagues de libéralisations, argumentent les nonistes de gauche – oubliant de rendre compte des nombreuses innovations positives du traité (en bref: le renforcement de la démocratie, de l'efficacité et de la représentation extérieure de l'UE).
Au fond, le “non” de gauche est synonyme de “tout ou rien”. Il revient à dire: “je veux que l'Europe soit exactement conforme à mon idée, sinon je n'en veux pas”. Il ne voit pas que la Constitution-européenne-devenue-traité-de-Lisbonne a été rédigée à travers un processus consultatif large qui a impliqué de façon équilibrée toutes les familles politiques mais aussi la société civile (sous l'égide de la Convention de Giscard). Que le traité est très proche du point d'équilibre dans le rapport de force continental.
Le “non” de gauche revient à dire “je veux que l'Europe soit conforme à mon idée et je le veux maintenant”. Il ne prend pas en compte le rythme d'une intégration continentale, qui est nécessairement lent. Il oublie que l'Europe est encore en train de digérer son élargissement à dix pays communistes.
Le “non” de gauche est une erreur d'appréciation. Ceux qui veulent un continent plus intégré, plus harmonisé devraient soutenir le traité de Lisbonne. Il n'est qu'un pas dans cette direction, mais un pas nécessaire pour conclure de façon plus ou moins équilibrée un cycle d'approfondissement/élargissement entamé durant les années 1990.
Car l'Europe de demain sera très différente, avec les conservateurs au pouvoir au Royaume-Uni. Elle n'avancera plus du tout. Les Tories ont déjà annoncé la formation d'un nouveau groupe politique au Parlement européen, qui sera le quatrième en termes de députés, derrière les démocrates-chrétiens (PPE), les socialistes et les libéraux, mais devant les écologistes. Les valeurs de ce groupe ? La libre entreprise, la régulation minimale, la baisse des impôts, les gouvernements réduits, la famille et le rejet d'une Europe fédérale... L'euroscepticisme, le repli sur l'Etat-nation, n'est au fond autre que le repli sur soi et sur sa propre richesse. L'euroscepticisme, c'est la droite. Le “non” de gauche est un luxe que se paient ceux qui ne le voient pas.

Colonel Moutarde

11 commentaires:

Ø a dit…

qu'est-ce que vous racontez ?
Tout le monde qui est de gauche sait de source sure que le traité de Lisbonne c'est l'ultra libéralisme dans son acception la plus dérégulée, que le libéralisme appliqué par les Chicago Boys au Chili fait figure de démocratie populaire et d'économie planifiée à côté de ce que nous ont concocté les Giscard Boys, que la population n'a pas plus de valeur que ce que le capitalisme le plus débridé consent dans sa grande mansuétude à lui accorder (et c'est encore moins que rien).

Le traité de Lisbonne, c'est le diable, le chaitan et les 7 plaies d'Egypte réunis en un seul document.

Anonyme a dit…

Vous nous dites qu'on ne peut critiquer l'Union Européenne ou en tout cas le traité de Lisbonne sans être de droite.

Vous appelez cette position "eurosceptisme" et rien que cette étiquette est déjà une condamnation mortelle.

Vous êtes une espèce de génie, non? Le Maître du langage? Ou juste le modeste et bienveillant relais des prénommés?

La vraie mission de la Co-mission européenne serait donc un progrès de civilisation. Les gens véritablement de gauche y trouvent la récompenses de leurs sacrifices et talents. Carrière, pensions, privilèges fiscaux et sociaux.

Pourtant, vous tenez ce blog. Il vous reste donc un grattement à la conscience, ce qui ne veut pas dire que vous soyez honnête.

Colonel Moutarde a dit…

Ce qui a de bien avec la Constitution-devenue-traité-de- Lisbonne, c'est qu'elle continue de susciter des discussions passionnées.

@leboutte
Je vous remercie de me savoir gré d'un "grattement à la conscience" et tiens à vous rassurer: je ne suis personnellement pas payé pour défendre l'UE. Cela dit attaquer le projet européen avec des arguments éculés contre les eurocrates, franchement, ce n'est pas à la hauteur du débat.
Je ne dis pas qu'on ne peut pas critiquer l'UE, ni même le traité de Lisbonne. C'est vous qui manquez de nuance, ou qui lisez mal. Je dis que c'est un point de compromis acceptable. Le traité ne change pas l'équilibre gauche-droite de l'UE, mais il fait avancer l'intégration. Or l'intégration est au fond un objectif progressiste parce qu'elle débouche sur l'harmonisation, la diminution de la concurrence entre les Etats.

@ O
"Tout le monde qui est de gauche sait de source sûre que le traité de Lisbonne c'est l'ultra libéralisme"... C'est peut-être justement le problème, tout le monde le sait de source soi-disant sûre, mais personne ne l'a lu. Le "capitalisme débridé" de "Giscard Boys", mais vous délirez complètement.

Article 8
Pour toutes ses actions, l'Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité, entre les hommes et les femmes.
Article 9
Dans la définition et la mise en oeuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale
adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine.
Article 10
Dans la définition et la mise en oeuvre de ses politiques et actions, l'Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un
handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

J'ai connu nettement plus ultra-libéral comme texte... Encore une fois, je ne dis pas que tout est rose dans l'UE, mais de grâce, un peu de nuance.

Anonyme a dit…

Je vous réponds sur http://uneautregauche.be/forums/messages/1947.html .

Pour le détail des articles du traité, il faudrait faire la balance entre les articles de complaisance, hochets accordés à certaines opinions ou groupes sur la défensive, et ceux qui expriment la loi d’airain en œuvre dans le réel. Or comment éviter la question, pour les articles 8 et 9 : capitalisme, depuis le temps que tu triomphes, où sont tes victoires ? Et pour le moralisme de l’article 10, n'est-ce pas tout ce qui reste à la social-démocratie après qu’elle se fût compromise dans le détricotage des services publics et le protectionnisme universel accordé à la finance, qui détruisent la société? «L’Union cherche à éliminer…», «L’Union cherche à combattre…» Fortes paroles ! Pour ma part je m’en tiens au critère réaffirmé de «concurrence libre et non faussée».

Le "meilleur fonctionnement de l’Union" que nous promet Lisbonne, et qui est à peu près la seule lecture qu’en donnent ses partisans, c’est, à côté de certaines majorités simplifiées tournées vers l’"efficacité" mais pas vers la démocratie, le marchandage des représentations nationales, qui vit par exemple le forcing de la Pologne pour un siège de plus, et la sortie de l’impasse qui s’en était suivie par une attribution d’un président hors quotas au Parlement : des négociations d’une platitude totale, sans aucun intérêt citoyen, et qui méritaient bien l’abstention que l’UE vient de récolter aux dernières élections.

Si vous relisez la double page que Le Soir a consacrée au rapport de l’événement, vous verrez que son rédacteur en chef adjoint, Maroun Labaki pour ne pas le citer, envoyé spécial dans la capitale portugaise, en a occupé plus de la moitié avec rien d’autres que des considérations de cette eau-là, mâtinées d’anecdotes people et creuses. C’était "le congrès s’amuse" - sans le talent faut-il le dire.

Il n’y a pas un politique ou un journaliste favorable au Traité de Lisbonne qui soit capable d’emporter les coeurs et la raison par l’évocation d’un grand dessein historique, porteur de civilisation, dans cette affaire. La droite véritable, technocratique et triomphante, est solidement ancrée au pouvoir dans l’UE. Ralliant des affiliés aux partis conservateurs et sociaux-démocrates, elle tente d’imposer sa prescription de la modernité, qu’elle partage avec des multinationales dont les lobbyistes osent se présenter comme représentants de la société civile.

N’oubliez pas que Blair dans une élection de son époque a été traité à la une du journal de la City comme "le seul vrai conservateur" pour qui il fallait voter ! Alors ne nous faites pas peur avec le prochain avènement des Tories à l’UE, c’est malhonnête et confusionnel. Ou alors déclarez nettement votre option de fond : vive la construction d’une Europe dominatrice, parlant d’une seule voix, dédiée à l’enrichissement des actionnaires, empire bis derrière les Etats-Unis. Si vous considérez qu’il y a un débat droite-gauche à l’UE entre le PPE et d’autres, pour moi comme pour Serge Halimi, ce débat a lieu dans une «périmètre idéologique minuscule».

Je ne vois pas d’internationalisme progressiste dans le projet unioniste-européen des pouvoirs. Je vois surtout l’extension de l’aire de jeu des multinationales, et, à part favoriser avec des projets du type Erasmus l’émergence d’une classe moyenne supérieure multilingue, l’UE entretient en réalité les particularismes nationaux dont elle sollicite le côté revanchard, puisqu’elle les met en concurrence pour le plus grand profit des prédateurs de l’économie, en se gardant soigneusement d’homogénéiser les conditions sociales, fiscales et salariales dans un "grand marché" tout aussi soigneusement compartimenté ! Liberté du capital et des élites, assignation à résidence concurrentielle des populations.

Finalement, restons simples et conséquents. Organisons un vaste débat et une consultation populaire ! Pouvez-vous nier que les pouvoirs évitent à toute force cette éventualité ? Ce seul constat suffit à bien de fécondes interrogations...

Bien à vous.

Colonel Moutarde a dit…

Vos observations sont partiellement justes, mais elles sont surtout très partiales.

1. C'est à tort que vous évoquez "la concurrence libre et non faussée", qui ne figure pas dans le traité de Lisbonne. Pour rappel, l'article I-3.2 de la Constitution ("L'Union offre à ses citoyens (...) un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée") a été remplacé par l'article 3 TUE ("L'Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement")
2. le traité de Lisbonne n'améliore pas la démocratie européenne, dites-vous. Il prévoit pourtant une extension énorme des pouvoirs du Parlement européen, qui aura désormais son mot à dire dans l'élection du président de la Commission ou dans les questions agricoles (40% du budget européen). Le manque de compétences de l'UE en matière fiscale et sociale reste une énorme faiblesse que je ne nie pas et dont j'ai d'ailleurs déjà parlé sur ce blog (http://boulettemoutarde.blogspot.com/2009/05/leurope-sociale-cette-arlesienne.html). Mais le traité de Lisbonne ne constitue en tout cas pas une dégradation par rapport à la situation antérieure.
3. Vous dénoncez les marchandages entre Etats au moment de la négociation du traité. Je ne nie pas qu'ils ont existé, mais ils ont porté sur une partie minime du texte, lequel a été rédigé par une Convention qui a mené ses travaux en toute transparence et cherché un point d'équilibre politique.
4. Ne pas voir la différence entre le New Labour, centriste, et les Tories, à l'extrême-droite sur l'économique et très à droite sur les valeurs morales, cela relève de l'aveuglement, ou de la mauvaise foi.
5. J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer pourquoi je ne pense pas que le référendum était approprié (http://boulettemoutarde.blogspot.com/2008/06/trait-de-lisbonnne-quand-le-peuple-vote.html). Il me semble que la volte-face des Irlandais, qui vont visiblement approuver le traité de Lisbonne (comme ils l'avaient fait avec celui de Nice) montre bien que les gens au fond ne savent pas trop quoi penser de ce traité qu'ils n'ont pas lu. La ratification des traités doit se faire par la voie parlementaire. Sauf évidemment si on tend à verser dans les grandes théories de complot fomentés par les élites.

Anonyme a dit…

1.

Il m’étonnerait que vous soyez impartial ! En politique cette revendication d’asexuation revient en général à une forme ou l’autre de conservatisme, ce qui est un parti pris bien entendu.
Pour ma part, évidemment que je suis partial! Mon parti est pour faire bref celui de Sartre disant «La vérité de la société s’observe des yeux du plus opprimé». Comment notre société traite les plus faibles, quel que soit le critère qui leur vaut cette qualification. Eh bien, nous sommes très loin des déclarations, très loin des promesses, et très loin du possible.

Anonyme a dit…

2.
Dans l’ensemble votre réponse s’attache à la lettre plus qu’aux choses. Or il y a longtemps que l’on sait qu’on ne peut juger une société en prenant au mot les discours de ses maîtres. La maxime «Liberté, égalité, fraternité» tourne à la mascarade, et la société libérale qui fut progressiste en son temps commence à répandre la haine de «la» démocratie, de la démocratie réelle en tout cas. Pour ce qui est de la vérité des mots, Jacques Rancière a pu consacrer tout un livre à «La haine de la démocratie» qui est au fond et aux tréfonds la vraie fibre de nos gouvernants.

Pour revenir à la disparition de la formule «concurrence libre et non faussée» qui figurait dans le Traité constitutionnel torpillé par le "non" français, cette disparition ne change en rien les politiques! Elle n’est de toute évidence qu’un artifice cosmétique. Car dans le traité de Lisbonne, «un article, nous dit Raoul-Marc Jennar, rappelle le primat d’une "économie de marché ouverte où la concurrence est libre" et un protocole (même valeur que le traité) indique que "le marché intérieur comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée".» Vous voyez, chassez le naturel, et…

« La seule politique de l’UE, ajoute-t-il, c’est, plus que jamais, de mettre en concurrence toutes les activités humaines. » Voici une autre perspective ! Le capital, dans son besoin incessant de nouveaux marchés, s’étend à des sphères jusqu’ici non économiques ou réservées à la puissance publique : la poste, le train, l’école, l’eau… Et la mission historique de l’Union européenne est de favoriser et d'accompagner ce mouvement. En outre, la social-démocratie, dont vous semblez proche, colonel masqué, s’est donnée corps et âme à ce projet. Un rappel : qui a signé le premier acte de libéralisation de la poste – les paquets de plus de 300 grammes, en Belgique ? – Elio Di Rupo, ministre des affaires économiques. Et ça sert à quoi ? À ouvrir un espace de plus au profit des grands actionnaires…

La tache aveugle des textes constitutionnels de la démocratie représentative, leur silence assourdissant, c’est bien sûr l’absence totale, et pour cause, du moindre élément de démocratie économique qui rendrait totalement, non pas insanes, elles le sont de toute façon, mais anticonstitutionnelles, la répartition des richesses en cours, autant que l’idéologie de guerre économique qui lui est consubstantielle.

La présentation que vous faites de l’augmentation des « pouvoirs » du parlement européen, qui sont tels qu’un pays qui n’en connaîtrait pas d’autres serait refusé d’adhésion à l’UE au motif de «démocratie» insuffisante, cette présentation est idyllique. Autres motifs de bonheur, la convention a travaillé « en toute transparence », un « point d’équilibre » a été atteint, et si on n’a pas avancé en matière socio-économique, au moins on n’a pas reculé !
Quant à votre affirmation que «les gens au fond ne savent pas trop quoi penser de ce traité qu’ils n’ont pas lu», elle montre bien que la démocratie représentative libérale dans laquelle nous vivons traite les électeurs en mineurs, et que le suffrage universel dérange. Même sous-informé, même manipulé par des campagnes dont les moyens sont ceux de la publicité et de l’audimat, même cet électorat-là dérange: il vaut mieux ne pas trop le consulter.

Les directives, conventions, traités et constitutions pléthoriques et illisibles ont donc un bel avenir dans l’équilibre des pouvoirs actuels. Le seul petit problème, c’est que le paradigme en place est en phase finale.

*

P.S. : Pour ce qui est des Tories, vous faites semblant de ne pas me comprendre ! Je n'ai pas dit qu’il n’y a pas de différence entre leur parti et le New Labour, j’ai dit que c’est « malhonnête et confusionnel » de nous faire peur avec leur montée en puissance. Malhonnête, parce qu’on ne peut honnêtement regretter que le meilleur ami d'une City en faillite aux frais de tous, convaincu en outre d’escroquerie à tous les étages, paie la note électorale. Et confusionnel, parce que la question n’est pas là.

Colonel Moutarde a dit…

Je suis en tout cas très heureux de lire des réponses aussi circonstanciées sur ce blog. Je partage certaines de vos observations sur l'état de la société, mais j'ai l'impression que vous vous trompez de cible.
La vérité de la société s’observe peut-être des yeux du plus opprimé, mais la colère amène parfois à désigner de faux coupables.

pietmoz a dit…

Connaissant personnellement différents pontes de la city, je peux assurer que ceux-ci se sont rendu aux urnes malgré un abstentionnisme énorme pour voter pour l'ukip (parti eurosceptique conservateur dont parle le colonel). En effet l'Europe ne permet une dérégulation parfaite des marchés (rêve de tout ultralibéral). La dévaluation massive et l'émission de billet n'est pas possible à l'heure actuelle au sein de L'Europe.
L'un des rares moyens à l'heure actuelle de contrer les multinationales est l'échange d'information entre pays et l'organisation d'éléments de contrôle (loi anti-trust) et de procès internationaux.

La PAC bien que fort controversée est plutôt une action protectionniste.

pietmoz a dit…

Je rappellerais également des tensions de pays plus riches tels l'Allemagne et autre vis-à-vis de pays plus en difficulté (Espagne, Grèce,...) et des transferts d'argent de l'un vers l'autre que certains libéraux verraient bien arrêter en se retirant de l'UE

Anonyme a dit…

Pietmoz: je ne sais pas exactement de qui vous parlez, mais cela me fait penser à cette frange ultra des libéraux, néo ou archéo, qui s'absout de toutes les catastrophes que nous vaut le marché, par un seul et final argument: nulle part le libéralisme pur n'existe, aussi ne peut-on le condamner pour ces errements...!