mardi 23 février 2010

L'Islande, futur paradis journalistique ?

Comme un écosystème, où de micro-organismes parasitent des hôtes plus volumineux, l'ordre international se fonde sur une tension entre grands Etats-nations et petits Etats-parasites qui entretiennent avec eux une interaction ambigüe.
De tous temps, les petits Etats ont compensé leur force de frappe limitée en jouant de la concurrence réglementaire. La France, par exemple, est entourée d'une nuée de micro-pays qui aident les citoyens hexagonaux à contourner telle ou telle législation jugée trop contraignante. C'est ainsi que le monopole sur la radio-diffusion a été érodé par par les radios périphériques, qui émettaient depuis le Luxembourg (RTL) ou Monaco (RMC). C'est ainsi également que l'impôt sur la fortune est évité par de riches Français qui s'installent en Belgique ou organisent une évasion fiscale plus généralisée à Andorre ou Monaco.
Cet équilibre précaire entre petits et grands se répète, à des degrés divers, en d'autres endroits de la planète, qu'il s'établisse entre l'Allemagne et le Liechtenstein, entre les Etats-Unis et les paradis fiscaux caribéens ou entre la Chine et Hong-Kong/Macao.
Avec ses 320.000 habitants, l'Islande pourrait devenir le prochain Lilliputien à fausser la donne internationale - mais d'une façon assez inédite. Une initiative parlementaire vise à transformer l'île en une espèce de "paradis médiatique", où les journalistes et penseurs du monde entier pourraient se prévaloir d'une législation ultra-protectrice. Un peu à la manière dont la Belgique, au 19e siècle, accueillait, de Baudelaire à Marx, des auteurs sulfureux exilés de France ou d'ailleurs.
L'initiative islandaise s'inspire d'ailleurs de la Belgique, puisque sa législation actuelle sur la protection de sources est l'un des exemples mis en avant. Mais l'ambition est ici plus élevée. Il s'agit de faire de l'île le pays le plus avancé du monde dans le droit des journalistes. Protection de sources, protection des intermédiaires (comme les fournisseurs d'accès à internet), limitation de la responsabilité pénale et, surtout, non-respect des jugements étrangers qui ne se conformeraient pas à la législation nationale. L'Islande pourrait donc devenir un hâvre de paix pour les auteurs persécutés à travers le monde.
Il faudra voir comment cette initiative, si elle est votée, se traduira dans les faits. L'affaire des caricatures danoises de Mahomet reviendra certainement à l'espit des parlementaires. Il faudra voir aussi comment empêcher que des lois très libertaires ne servent à protéger les auteurs de contenus racistes ou pédophiles. In fine, le projet islandais pourrait bien connaître le sort funeste de la législation belge de compétence universelle.
Mais au-delà des réserves, l'idée ouvre des perspectives neuves. Elle est plus que justifiée à l'heure où se développe un tourisme juridictionnel ("libel tourism"), qui voit des politiciens, hommes d'affaire et même criminels du monde entier, notamment de Russie, lancer des procédures contre des journalistes locaux, non pas dans leur propre pays, mais au Royaume-Uni, où les lois sur la diffamation sont plus sévères.

Colonel Moutarde


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