jeudi 13 mai 2010

Réflexion sur la financiarisation de l'économie

Pourquoi les traders gagnent-ils des sommes inversement proportionnelles à leur utilité sociale ? C'est sans doute une façon pour eux de se rémunérer en nature. De la même manière que le fromager ramène le soir un bon morceau de roquefort, le trader rentre chez lui avec quelques millions. Que représentent, doit-il penser, ces infimes millions en comparaison des milliards que j'ai échangés aujourd'hui ? Chez les traders, un paiement en nature serait ainsi, curieusement, un paiement cash.
C'est en vertu de la même logique, sans doute, que les salaires sont généralement plus élevés dans le secteur financier que dans les autres branches de l'économie. Puisque l'argent y abonde, n'est-il pas logique de se sucrer un peu au passage ?
Avoir pour métier de brasser de l'argent ne justifie pourtant pas d'en gagner beaucoup. Pour contourner cet argument moral, un camarade employé de banque me donnait récemment une autre justification: puisque je travaille pour une entreprise privée dont l'unique objectif est le profit, je n'ai aucun scrupule à exiger de mes employeurs des augmentations substantielles.
La proximité du pot de confiture et l'appât du gain généralisé: voilà donc deux facteurs importants pour comprendre les montants faramineux versés aux traders et dans le secteur financier. Cette tendance serait anecdotique - après tout, d'autres catégories sociales gagnent aussi des salaires exorbitants - si cela n'était pas symptomatique d'une certaine déliquescence de l'économie, voire de la société occidentale.
Elle est d'abord symptomatique d'une surabondance de monnaie, d'une ère d'argent facile, issue des taux d'intérêts très faibles pratiqués aussi bien par la BCE que par la Fed depuis des années, mais aussi des politiques budgétaires laxistes que s'autorise la classe politique euro-américaine.
Elle est surtout le signe d'une emprise inquiétante de la sphère financière sur le reste de l'économie. La cupidité des spéculateurs n'est pas un phénomène nouveau, mais elle s'est accrue au cours des dernières années, au fur et à mesure que l'économie était gorgée de liquidités, et au fur et à mesure que se répandait le mythe de l'argent facile - jusque chez les petits épargnants. Les occidentaux ont cru qu'ils pouvaient devenir des rentiers, laisser leur argent travailler à leur place. Ils ont cru stupidement la bourse monte toujours. Ils ont pensé naïvement que l'on peut exiger des rendements en deux chiffres, sans se préoccuper des conséquences. Cruelle déception pour les détenteurs d'actions financières en 2008, pour ceux qui avaient voulu grapiller quelques pourcents avec un compte Kaupthing!
Que dire des fonds de pension, présentés depuis des années comme l'une des solutions privilégiées au vieillissement de la population ? Non seulement font-ils peser sur les travailleurs la nécessité de rendements toujours plus importants, mais leur efficacité elle-même peut être mise en doute, à l'heure où les bourses sont devenues tellement volatiles.
Mais plus que les petits épargnants et les pensionnés, ce sont les fameux "marchés financiers" qui pèsent lourdement sur l'économie. Ces "spéculateurs" dont on ne connait ni le visage, ni le nom, uniquement tournés vers le gain à court-terme, quels que soient les dégâts pour la société. "Après moi, le déluge" semble être leur leitmotiv. Alors que l'utilité de la Bourse elle-même est sujette à caution (lire cet article du Monde diplomatique), comment accepter qu'aujourd'hui, près de la moitié des transactions soient le fait d'ordinateurs programmés pour réaliser des milliers de petits gains (voir ici) ? Comment ne pas dénoncer le poids de ces transactions sur la dette publique ? Comment ne pas s'indigner des collusions douteuses entre institutions financières, comme dans l'affaire Goldman Sachs ? Comment ne pas mettre en doute l'objectivité des agences de notation ? Bref, comment ne pas remettre en cause la grave dérive globale du système capitaliste ?
Les politiques ont commencé à répondre à ces questions, mais ils restent encore bien trop timorés face à des forces qui menacent les fondements de l'économie sociale de marché.

Colonel Moutarde

Retrouvez ce billet sur le site www.boulettemoutarde.be

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