mercredi 14 juillet 2010

La tempête du 13 juin menace de déracine l'Olivier

Certes, la discrétion est de mise mais la répétition du cauchemar de 2007 semble pointer le bout de son nez. Après trois semaines, l'informateur Bart De Wever a identifié des convergences entre des partis... non identifiés et a recommandé de ne surtout pas commencer à négocier maintenant, sous peine de conséquences "inimaginables" en cas d'échec. Ca sonne comme un aveu d'impuissance devant une tâche que l'on annonce pourtant cruciale pour l'avenir du pays. Elio Di Rupo a pris le relais (sans doute un classeur avec deux ou trois feuilles, en ce compris la page de garde) pour mener une mission de "préformation"... soit quelque chose qui ne veut rien dire. C'est dire si l'on n'est pas très loin... et peut-être moins loin qu'en 2007. Il y a trois ans, une certitude sortait des urnes: l'orange bleue, que le radicalisme de la N-VA, la volonté inébranlable de Joëlle Milquet de ramener le PS dans le jeu et le très piètre talent de négociateur du très surfait Didier Reynders ont envoyé dans les orties. Les discussions actuelles paraissent se trouver à un stade encore moins avancé: on se demande toujours avec qui on va négocier. Si les partis de la majorité en Communauté flamande sont décidés reproduire leur coalition au fédéral (CD&V, N-VA, sp.a), les partis de l'Olivier francophone sont eux dans la panade. Planter l'Olivier au fédéral offrirait la solution la plus adéquate mais il y a un hic: Groen!. Ecolo, qui a perdu un tiers de son électorat entre juin 2009 et juin 2010, craint comme la peste de revivre le calvaire de l'Arc-en-ciel, et ne souhaite pas se retrouver au pouvoir sans son alter ego flamand, dont la N-VA ne veut pas. A quatre dans une majorité côté flamand, ce n'est pas commode et en plus, ça fait pencher le balancier encore un peu plus à gauche, trop pour des nationalistes flamands pour le moins conservateurs. Ecolo cherche un prétexte, affirment certains. C'est possible. Peut-être veut-il faire monter les enchères comme en 2009 pour obtenir le maximum. Toujours est-il que ce jeu n'est pas du goût d'Elio qui la semaine passée a menacé purement et simplent d'éjecter les Verts de tous les niveaux de pouvoir s'ils continuaient leur cirque. "Choquant", jugent certains écologistes. "Coup de bluff", répondent d'autres. Peut-être, mais c'est dire à quel point la situation est tendue en coulisses: qui aurait imaginé le PS prêt à torpiller comme ça l'Olivier, présenté il y a peu encore comme la majorité idéale? Et pour faire quoi? Ramener le MR à tous les niveaux? L'intéressé ne demanderait pas mieux mais comment vendre ça à l'opinion et surtout faire face à des écologistes dont la posture de martyr décuplera le talent d'opposition? Si Ecolo persiste à refuser, il reste deux hypothèses: le MR reste dans la majorité au fédéral et dans l'opposition en Régions et Communauté. Reynders signe des deux mains mais pas l'autre bord de plus en plus peuplé. Un: Michel, Borsus et d'autres en ont leur claque d'être un pied dedans et un pied dehors. Deux: pas question pour les mêmes de sauver Reynders. Ou alors Ecolo soutient une réforme de l'Etat de l'extérieur... Jouable mais PS et cdH tous seuls ressembleront un peu au CD&V et à l'Open Vld sous la législature précédente et on souhaite bien du plaisir à Ecolo dans les Régions et à la Communauté française. Le risque est grand que socialistes et centristes ne passent plus rien du tout à ces écologistes devant qui ils ont dû s'aplatir il y a à peine un an.

Mexicano

mardi 8 juin 2010

Demain, nous serons riches et nous ne paierons plus d’impôt (air connu)

C’est la campagne ! C’est le printemps ! Un peu partout bourgeonnent les têtes béates des candidats et leurs promesses de jours meilleurs. Au grand jeu de la surenchère, les partis ne font pas preuve d’une inventivité exceptionnelle. A gauche, on versera plus d’allocations, à droite, on taxera moins.
Le contexte budgétaire européen est absent des débats. La Belgique s’est engagée à économiser une vingtaine de milliards d’euros pour revenir à l’équilibre en 2015, mais en campagne électorale, il y a certaines vérités qu’il vaut mieux taire, du moins dans l’esprit des francophones.
Ainsi, PS et cdH promettent une revalorisation de la pension minimale, évoquant tous les deux un montant de 1.150 euros aussi bien pour les indépendants que les salariés. A l’heure actuelle, la pension minimale d’un ancien indépendant après 30 ans de carrière est d’à peine 850 euros. Les deux partis sont nettement plus vagues en ce qui concerne le financement de leurs promesses. On taxera les grands méchants spéculateurs, assurent-ils, mais ne donnent aucune précision sur la manière dont ils entendent prélever un impôt sur des capitaux très mobiles. Contrairement à Ecolo et au PTB, ils ne pipent mot d’un éventuel impôt sur la fortune, tel qu’il existe en France. Les deux partis jouent pourtant la carte du réalisme. Le PS asure parler "sans langue de bois, sans promesse intenable". Joëlle Milquet dit ne pas être de ceux qui promettent que "demain, on rase gratis".
Du côté du MR, on joue la vieille rengaine poujadiste du "trop d’impôts"...

Retrouvez la version complète de cet article sur www.boulettemoutarde.be

mardi 25 mai 2010

Murdoch et le pari de la presse payante en ligne

A n’en pas douter, Rupert Murdoch est un sale type. Ce magnat australien des médias se fiche éperdument de l’indépendance des rédactions dans les journaux qu’ils rachète : il vire les récalcitrants et impose sa ligne politique, souvent en fonction de ses propres intérêts d’affaire.
Ainsi, quand, dans les années 1960, il acquiert son premier titre,...

Lire la suite sur la nouvelle version de ce blog

jeudi 13 mai 2010

Réflexion sur la financiarisation de l'économie

Pourquoi les traders gagnent-ils des sommes inversement proportionnelles à leur utilité sociale ? C'est sans doute une façon pour eux de se rémunérer en nature. De la même manière que le fromager ramène le soir un bon morceau de roquefort, le trader rentre chez lui avec quelques millions. Que représentent, doit-il penser, ces infimes millions en comparaison des milliards que j'ai échangés aujourd'hui ? Chez les traders, un paiement en nature serait ainsi, curieusement, un paiement cash.
C'est en vertu de la même logique, sans doute, que les salaires sont généralement plus élevés dans le secteur financier que dans les autres branches de l'économie. Puisque l'argent y abonde, n'est-il pas logique de se sucrer un peu au passage ?
Avoir pour métier de brasser de l'argent ne justifie pourtant pas d'en gagner beaucoup. Pour contourner cet argument moral, un camarade employé de banque me donnait récemment une autre justification: puisque je travaille pour une entreprise privée dont l'unique objectif est le profit, je n'ai aucun scrupule à exiger de mes employeurs des augmentations substantielles.
La proximité du pot de confiture et l'appât du gain généralisé: voilà donc deux facteurs importants pour comprendre les montants faramineux versés aux traders et dans le secteur financier. Cette tendance serait anecdotique - après tout, d'autres catégories sociales gagnent aussi des salaires exorbitants - si cela n'était pas symptomatique d'une certaine déliquescence de l'économie, voire de la société occidentale.
Elle est d'abord symptomatique d'une surabondance de monnaie, d'une ère d'argent facile, issue des taux d'intérêts très faibles pratiqués aussi bien par la BCE que par la Fed depuis des années, mais aussi des politiques budgétaires laxistes que s'autorise la classe politique euro-américaine.
Elle est surtout le signe d'une emprise inquiétante de la sphère financière sur le reste de l'économie. La cupidité des spéculateurs n'est pas un phénomène nouveau, mais elle s'est accrue au cours des dernières années, au fur et à mesure que l'économie était gorgée de liquidités, et au fur et à mesure que se répandait le mythe de l'argent facile - jusque chez les petits épargnants. Les occidentaux ont cru qu'ils pouvaient devenir des rentiers, laisser leur argent travailler à leur place. Ils ont cru stupidement la bourse monte toujours. Ils ont pensé naïvement que l'on peut exiger des rendements en deux chiffres, sans se préoccuper des conséquences. Cruelle déception pour les détenteurs d'actions financières en 2008, pour ceux qui avaient voulu grapiller quelques pourcents avec un compte Kaupthing!
Que dire des fonds de pension, présentés depuis des années comme l'une des solutions privilégiées au vieillissement de la population ? Non seulement font-ils peser sur les travailleurs la nécessité de rendements toujours plus importants, mais leur efficacité elle-même peut être mise en doute, à l'heure où les bourses sont devenues tellement volatiles.
Mais plus que les petits épargnants et les pensionnés, ce sont les fameux "marchés financiers" qui pèsent lourdement sur l'économie. Ces "spéculateurs" dont on ne connait ni le visage, ni le nom, uniquement tournés vers le gain à court-terme, quels que soient les dégâts pour la société. "Après moi, le déluge" semble être leur leitmotiv. Alors que l'utilité de la Bourse elle-même est sujette à caution (lire cet article du Monde diplomatique), comment accepter qu'aujourd'hui, près de la moitié des transactions soient le fait d'ordinateurs programmés pour réaliser des milliers de petits gains (voir ici) ? Comment ne pas dénoncer le poids de ces transactions sur la dette publique ? Comment ne pas s'indigner des collusions douteuses entre institutions financières, comme dans l'affaire Goldman Sachs ? Comment ne pas mettre en doute l'objectivité des agences de notation ? Bref, comment ne pas remettre en cause la grave dérive globale du système capitaliste ?
Les politiques ont commencé à répondre à ces questions, mais ils restent encore bien trop timorés face à des forces qui menacent les fondements de l'économie sociale de marché.

Colonel Moutarde

Retrouvez ce billet sur le site www.boulettemoutarde.be

mardi 4 mai 2010

Zone euro: Le pari des cupides

Après la Grèce, l'Espagne. Les spéculateurs de la City et de Wall Street en sont convaincus: l'un de ces pays qu'ils qualifient de cochons (les PIGS, Portugal, Ireland, Greece, Spain) finira bien par craquer. La Grèce est à l'abri - provisoirement. Avec 110 milliards d'euros de prêts publics promis sur les trois prochaines années, elle pourra honorer ses échéances à court-terme. Une première défaite pour tous ceux qui, ces dernières semaines, avaient misé sur un défaut en achetant des credit default swaps, ces espèces d'assurances sur dette. Mais ils n'en resteront pas là, comme l'explique crûment le prix Nobel d'économie, Joseph Stigliz (voir ici)

Quand on aura vu à quel point il a été difficile à l'Europe d'adopter une position commune pour aider un des plus petits pays, on réalisera que si un pays un peu plus grand a des difficultés, il est probable que l'Europe aura encore plus de mal à se mettre d'accord. Donc je pense que l'espoir que cette aide nuira aux pressions spéculatives est probablement infondé: ça peut marcher pendant quelque temps, mais à long terme, tant que les problèmes institutionnels fondamentaux seront là, les spéculateurs sauront qu'ils existent, et au fur et à mesure que les faiblesses de l'Europe s'aggraveront je pense qu'ils s'en donneront à coeur joie.

Comme nombre d'autres observateurs américains, Joseph Stiglitz ne croit pas trop en l'euro. Le raisonnement est simple: les pays membres ont décidé de confier à une banque centrale indépendante le soin de gérer une politique monétaire unique, mais ils continuent de gérer eux-mêmes leur politique budgétaire et économique. Du coup, certains pays s'endettent, tandis que les autres accumulent des excédents. Les uns importent, les autres exportent. C'est un peu la cigale et la fourmi dans l'euroland. Pendant que la Grèce mentait sur ses statistiques budgétaires, l'Allemagne proscrivait les déficits jusque dans sa Constitution. Pendant que des Grecs prodigues vivaient au crochet de l'Etat, des Allemands disciplinés acceptaient la modération salariale. La Commission européenne était censée veiller à la cohésion de l'ensemble, mais, avec ses prérogatives limitées, elle n'a pas empêché la crise - qu'elle n'a d'ailleurs pas vu venir. En résultent aujourd'hui des tensions ingérables. Dans l'impossibilité de dévaluer sa monnaie, la Grèce est forcée d'appeler à l'aide. Si davantage de pays se retrouvent dans la même situation, ce sera la fin de l'euro.
C'est le scénario sur lequel misent nombre d'investisseurs, sur les traces de George Soros, ce spéculateur américain qui, au début des années 1990, a fait fortune en forçant la Banque d'Angleterre à dévaluer la livre sterling. Ici aussi, le raisonnement est simple: il a fallu des pressions intenses sur l'Allemagne et l'apport de pays eux-mêmes en grande détresse budgétaire pour bricoler l'aide à la Grèce. Ce frêle esquif ne supportera sans doute pas la prochaine attaque contre un PIG. Peu importe si l'Espagne est assez faiblement endettée (53% du PIB, moins de 20 points sous la moyenne de la zone euro), les investisseurs connaissent sans doute l'une ou l'autre faiblesse. En misant sur un défaut, ils poussent à la hausse les taux d'intérêts auxquels elle doit emprunter, enclenchant ainsi le même cercle vicieux que celui dont la Grèce a été la victime. Eux gagnent sur tous les front (voir une explication ici).
C'est un pari. Un très, très gros pari. C'est surtout un bras-de-fer entre les pouvoirs publics et les intérêts privés. Intérêts privés qui imposent aux Etats leur rythme frénétique, sans égard pour le temps des procédures démocratiques. Intérêts privés qui exigent des Etats des taux exorbitants. De l'avis de nombre d'experts, si la spéculation ne se calme pas, des dizaines de milliards seront encore nécessaires. Dans les capitales, il faudra alors garder la tête froide et le sens de l'Etat. Tout l'opposé de l'image qu'a donné Angela Merkel ces dernières semaines (voir
ici). Car au pari des cupides, il faudra bien opposer le pari de la solidarité. Et faire avaler aux Allemands, qui ont accepté sans broncher des réformes douloureuses (comme la fameuse loi Hartz IV), qu'ils doivent encore se montrer solidaires avec ceux qui ont vécu au-dessus de leurs moyens.

C'est sans doute à ce prix qu'on évitera la faillite d'un Etat, équivalent public de celle de Lehman Brothers, possible prémisse à un éclatement de la zone euro. Les dirigeants européens ne peuvent pas laisser gagner les spéculateurs, les véritables cochons dans cette affaire. Abandonner l'euro, meilleur symbole de la construction européenne, serait un renoncement intolérable.

Colonel Moutarde


Retrouvez ce billet sur la nouvelle version de ce site, www.boulettemoutarde.be


dimanche 25 avril 2010

BHV: de Joseph II à Leterme et Maingain en passant par Napoléon, des dizaines de millions de minutes (manquées) de courage politique

Depuis la politique centralisatrice de l'Empereur Joseph II qui suscita la révolution brabançonne et la création éphémère d'Etats belgiques Unis au sein des Pays Bas autrichiens en 1790, depuis la création voulue par l'Angleterre du Royaume-Uni des Pays-Bas, en 1815 et de la Belgique en 1830, pour contrer les velléités conquérantes de la France sur l'Europe, depuis l'échec de la politique de l'aristocratie francophile bruxelloise qui ne percevant pas l'inéluctabilité de l'émancipation flamande lui a refusé le bilinguisme, depuis que la Flandre a décidé de prendre en main son destin en imposant une frontière linguistique censée protéger son identité, on peut s'interroger sur les responsabilités politiques dans la crise BHV dont la dramatisation va crescendo, un bel exemple étant la prise de possession, durant la vacance du pouvoir, par le Vlaams Belang de l'hémicycle de la Chambre pour y entonner le Vlaamse Leeuw et y "proclamer" l'indépendance de la Flandre.
En amont de cette dramatisation, les partis politiques passent l'essentiel de leur temps à calculer leur intérêt propre, ce qui ne témoigne pas d'une très grande hauteur en termes de gestion de l'Etat mais qui est compréhensible vu que pour arriver à ses fins un parti se doit quand même de gagner des élections. Le VLD a décidé de rompre avec sa ligne libertaire et prône un libéralisme flamand, BHV méritant qu'on y mette le feu. Soit il gagne un accord et on se souviendra de lui comme l'élément déclencheur de cet accord, soit on vote et il sera vu comme le parti qui a dénoncé l'attentisme francophone. Dans le meilleur des cas, il se défend bien aux élections, sinon il se refait une santé dans l'opposition. De l'autre côté, le FDF n'acceptera jamais un accord qui sacrifiera son électorat de la périphérie. Du coup, le MR suit, son président Didier Reynders jouant sa place à la tête de sa formation. Après avoir provoqué la crise de 2007 dont il assume la responsabilité politique, le CD&V du premier ministre Yves Leterme qui avait estimé qu'il fallait 5 minutes de courage politique pour scinder BHV, est revenu à un rôle de gestionnaire de l'Etat qui le rapproche du PS. Ce dernier parti n'est pas foncièrement opposé à la scission de BHV qui égratignerait son concurrent réformateur. Le PS est cependant tout aussi responsable de la crise actuelle car il n'ose pas défendre son point de vue, ne sachant pas comment il sera perçu en francophonie. Scotché au PS, le cdH joue la girouette car il possède, dans une moindre mesure que le MR, un électorat en périphérie. Sur la ligne flamande, le sp.a est au balcon. Quant aux Verts, n'ayant pas de vécu historique dans l'évolution politique de la Belgique, ils sont moins concernés. Ils tentent de jouer la carte de la cordialité mais Ecolo et Groen! sont également divisés sur les questions communautaires.
En attendant, chaque parti se refile le valet puant. Nommé médiateur par le roi, Didier Reynders vient d'en hériter, au grand plaisir des partis flamands, du PS, du cdH, voire des Verts. La seule chance pour le président du MR de s'en sortir est de dompter le FDF. Il sera alors considéré comme un homme d'Etat et son étoile brillera à nouveau. Mais il ne prendra pas ce risque sans avoir l'assurance d'embarquer dans la prochaine majorité.
L'histoire dira ce que deviendront BHV et la Belgique. Qu'elle évolue vers une confédération, qu'elle se scinde, que la Wallonie et Bruxelles se rattachent à la France, ou que d'autres scénarios l'emportent, finalement peu importe. Ce qui compte c'est que triomphe le sens de l'Etat. Or, au-delà de notre nombril, c'est la démocratie qui est en crise, mondialisation oblige. La Belgique est un laboratoire. C'est la raison pour laquelle elle attise la curiosité des observateurs internationaux.

Durum

jeudi 1 avril 2010

L'initiative citoyenne européenne, une fausse bonne idée

En rédigeant un projet de Constitution pour l'Europe, les membres de la Convention de Valéry Giscard ont eu cette illumination: on permettrait à un million de citoyens européens de forcer la Commission à se saisir d'une question et, éventuellement, de présenter une proposition législative. Cette "initiative citoyenne européenne" (déjà affublée de son acronyme ICE) a été reprise dans le traité de Lisbonne, qu'elle a même permis de vendre plus facilement aux opinions publiques réticentes. Pensez: un soupçon de démocratie directe dans une Europe en déficit démocratique chronique, l'idée avait de quoi séduire. A l'heure du web 2.0, où les discussions de comptoir, les avis du moindre gogo raciste, semblent légitimés par leur publication dans les forums en ligne des journaux, habiliter les citoyens à participer au processus législatif européen, c'était dans l'air du temps.
La Commission européenne a présenté cette semaine le règlement qui encadrera l'ICE. C'est qu'au Berlaymont, on a vite compris que cette initiative citoyenne pourrait rapidement poser des soucis. Il se trouvera bien, en effet un million de personnes pour signer une pétition contre les politiques de libéralisation; on trouvera sans aucun problème un million de personnes opposées à l'entrée de la Turquie; à la sortie des Eglises, on fera signer un million de personnes contre le droit à l'avortement.
Pour gérer la situation préventivement, un mécanisme de validation a été mis en place. Dès que les organisateurs auront récolté 300.000 signatures, ils devront faire vérifier que le sujet de leur initiative tombe bien dans les compétences communautaires. Ce procédé devrait permettre de réduire considérablement le champ des demandes, étant donné que l'Europe n'a rien à dire en matière de politique étrangère, de défense et de fiscalité et qu'elle a peu à dire sur la santé publique et la sécurité sociale. Mais il risque de produire l'effet exactement opposé à l'impression de démocratie recherchée, puisque certaines pétitions seront rejetées à un stade précoce. Quant aux demandes acceptées, il est à craindre qu'elles ne déboucheront sur rien de concret dès qu'elles auront un caractère polémique. Car même si un million de signatures ne sont pas une quantité négligeable, elles sont loin ds'approcher de la majorité - sur un continent qui compte un demi-milliard d'habitants. Elles ne suffiront en aucun cas pour pour modifier les grandes orientations de la Commission. Gageons que, comme d'autres gadgets référendaires, l'ICE prouvera à nouveau les limites de la démocratie directe.

Colonel Moutarde