dimanche 5 juillet 2009

Bowling for Herstal

Le 8 juin, le ministre-président wallon, Rudy Demotte, a delivré à la Fabrique Nationale (FN) une licence d’exportation d’armes vers la Libye. Cette décision, prise très courageusement le lendemain des élections, à un moment où la presse avait la tête ailleurs, soulève peu les passions. Elle permettra à l’entreprise herstalienne d’honorer une commande de trois mille armes, dont 2.000 dites à létalité réduite (un euphémisme exécrable qui peut prendre place à côté des frappes chirurgicales avant –qui sait ?- les armes à destruction plus ou moins massive ou les mines à faible handicap), passée par un régime exemplaire et surmilitarisé, de retour en grâce auprès des démocraties occidentales (après la Galerie des glaces à Versailles, une virée en kayak sur la Lesse et un week-end gastronomique à la Barrière de Champlon attendent Khadafi). Les avertissements lancés par les défenseurs des droits de l’homme et le malaise palpable des Affaires étrangères n’y ont rien fait. Une fois de plus, le lobby militaro-industriel wallon a eu gain de cause. Il est de bon ton de dénoncer le commerce des armes aux Etats-Unis, de s’émouvoir devant « Bowling for Columbine », de se dire « ils sont fêlés ces américains » mais à notre petite échelle régionale, le silence est de mise. Au lieu de cracher sur Charlton Heston, en espérant que leur salive passera l’Atlantique, certains beaux esprits feraient mieux de s’interroger sur le pouvoir du lobby militaro-industriel en Belgique. Certes, pas de guerre déclenchée pour remplir les poches de quelques entreprises mais tout de même : la chute d’un gouvernement quand il s’est agi d’une vente à l’Arabie Saoudite, la régionalisation de la compétence quand il s’est agi d’une vente au Népal (ah, cette « jeune démocratie naissante », si chère à Louis Michel), une crise ministérielle et une copieuse indemnité à une société du Groupe Forrest quand il s’est agi d’une vente à la Tanzanie. Et toujours les mêmes arguments : attention, le chômage (la FN se porte très bien, merci pour elle), si c’est pas nous ce sera d’autres (magnifique : sur les cours de récréation, passé l’âge de 6 ans, on n’ose même plus), autant faire une sale guerre avec des armes propres, etc. Et les entreprises n’ont pas besoin de faire de pétard, les politiques liégeois s’en chargent, tous partis confondus, même Ecolo qui a soutenu la licence libyenne, et les syndicats qui osent tout. Lorsqu’en 2003, Van Cau refuse à New Lachaussée la licence vers la Tanzanie, la FGTB-Métal de Liège se fend d’un communiqué odieux : c’est la faute aux fonctionnaires flamands du fédéral, ni plus, ni moins. La 5e colonne, les agents doubles payés par l’étranger… On croit rêver. Manifestement, la solidarité s’arrête aux frontières de la principauté. Les libertés syndicales n’ont pas plus cours en Libye que les autres et tout qui prétend défendre les droits des travailleurs se fera tirer dessus. Et lorsqu’Onkelinx veut limiter drastiquement le commerce et la détention d’armes, c’est la levée de boucliers. Avez-vous remarqué que dans tous ces grands dossiers où l’éthique est foulée aux pieds (FN, Francorchamps, loi sur les armes), on voit se lever deux aigles de la politique wallonne, deux qui vous font croire qu’un autre avenir est possible, deux visionnaires au regard tourné vers l’horizon : Jean-Marie Happart et Philippe Monfils… Baf, ça, c’est du lourd, du solide…

Non, vraiment, pas mieux que Charlton Heston.

Mexicano

samedi 4 juillet 2009

Le lait, l'argent du lait et le sourire de la commissaire

Depuis des semaines, les "producteurs laitiers" sont partout: en tracteur sur l'autoroute, devant les institutions européennes, dans les journaux. Ce que les médias oublient de dire, c'est que le mouvement de protestation ne concerne qu'une partie des producteurs: en gros, ceux du sud de l'Europe, d'Allemagne et, en Belgique, les Wallons. Tous réclament l'abandon de la politique européenne de libéralisation des quotas, accusée de faire chuter les prix. Les agriculteurs flamands, néerlandais, danois, britanniques sont plus discrets. Et pour cause: ils s'accommodent très bien d'un système qui leur permet de produire plus. La taille plus grande des exploitations leur permet de réaliser des économies d'échelle qui les protègent des variations de prix.
Ls dirigeants de l'UE sont quant à eux bien déterminés à maintenir le cap de la libéralisation. Au dernier sommet européen, ils ont demandé à la Commission d'échafauder des nouvelles propositions pour le secteur, mais en ajoutant à leurs conclusions une phrase sybilline sur "le respect du bilan de santé de la PAC". Comprendre: pas touche à la suppression des quotas. La commissaire à l'agriculture, Mariann Fischer-Boël, dispose donc de toute la latitude nécessaire pour continuer de mettre en oeuvre sa vision d'une agriculture industrielle et compétitive sur les marchés internationaux. Cette Danoise, elle-même propriétaire d'une exploitation porcine très intensive, n'a jamais caché son mépris pour la petite agriculture. "Si vous avez juste une chèvre dans votre jardin, vous n'êtes pas un vrai fermier", avait-elle déclaré en exposant les grandes lignes de ses réformes. Appliquer cette philosophie au secteur laitier revient forcément à ignorer les protestations actuelles: il faut en effet qu'un certain nombre d'exploitants peu compétitifs fassent faillite pour permettre l'émergence de quelques grandes exploitations. Dans l'optique de la commissaire, c'est le coût à payer pour obtenir des prix bas pour les consommateurs et des recettes juteuses à l'exportation. Puisque les estimations laissent penser que la consommation mondiale de lait va exploser dans les prochaines années, il s'agit d'être prêt à concurrencer les autres puissances agricoles (Etats-Unis, Amérique latine, Nouvelle-Zélande...).
Mme Fischer-Boël est moins loquace sur les inconvénients de sa réforme: l'abandon d'un outil de gestion de la production expose les agriculteurs aux variations de prix. Quand ceux-ci baissent, les revenus plongent et les producteurs doivent être secourus avec l'argent public. C'est ce qui se passe déjà actuellement, via le rétablissement des restitutions à l'exportation. Le lait ne trouve pas preneur ? Le budget européen financera sa revente à prix bradés sur les marchés mondiaux! Or, non seulement ces aides sont coûteuses pour les contribuables, mais elles contribuent à déprimer davantage les prix, ce qui expose les agriculteurs des pays ne disposant pas de tels filets de sécurité. Cette situation contribue à son tour au sous-investissement dans l'agriculture au sud, et, en dernier ressort, à la faim dans le monde.
Mariann Fischer-Boël a pour habitude de balayer ces arguments d'un revers de la main et se retranche derrière des chiffres de court-terme étayant sa vision. A 66 ans, elle ambitionnerait de rempiler à son poste. Au Parlement européen, où se prépare une bataille pour l'investiture de la Commission Barroso II, les partisans d'une autre agriculture seraient bien inspirés de lui arracher quelques concessions.

Colonel Moutarde